La tyrannie de l’évaluation
REY Angélique, Ed. La Découverte, 2013, 145 p.
Si Angélique Rey ne renie pas toute forme d’évaluation, qui reste une opération spontanée propre à toute action humaine, elle dénonce la tyrannie qu’elle exerce depuis quelques années, au point d’être devenue un puissant instrument de pouvoir et de domination entre les mains du néo-libéralisme. Destinée initialement à optimiser les services publics, elle aboutit à son contraire : on soigne de moins en moins bien, on éduque plus mal qu’auparavant, on travaille de plus en plus dans la souffrance. Ce résultat paradoxal est le produit du « New public management » qui prétend remplacer toute dynamique interactive et conflictuelle par une approche unidimensionnelle et standardisée. Évaluer présente toujours le risque de modéliser des réalités humaines, sous la forme de normes à paramètres constants et à les réduire à un certain nombre de critères uniformisés et quantifiables. Or, les phénomènes complexes, parce qu’ils fonctionnent sur l’incertitude et l’instabilité, présentent un ensemble d’irrégularités qui créent des dysfonctionnements. Les mêmes causes n’entraînant jamais les mêmes effets, toute rationalité linéaire qui prétend enfermer le réel dans un tout cohérent conduit à l’illusion de pouvoir tout voir et tout contrôler. La raison humaine ne sera jamais entièrement visible et restera toujours en partie imprévisible et donc non représentable en totalité. La multiplicité et la diversité des comportements font qu’ils sont irréductibles les uns par rapport aux autres. Si, pour se transformer en outil utile, toute évaluation doit donc être contextualisée, elle doit aussi respecter la complexité et le contradictoire. Il lui faut, tout autant, intégrer la multiplicité des interprétations possibles et renoncer à la croyance naïve qu’il pourrait exister des critères universels de l’efficacité d’une action. Soit à peu près exactement le contraire de ce qui se fait aujourd’hui !
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1140 ■ 01/05/2014