Education populaire. Nouvel Eldorado des start-up sociales
DECAMP, André, Éd. Libre & Solidaire, 2022, 320 p.
Loin de vouloir discréditer les acteurs de l’éducation populaire, le livre d’André Decamp leur propose un état des lieux lucide et réflexif. Cette mouvance s’est toujours abreuvée aux idéaux d’émancipation et de transformation sociale, cherchant à favoriser l’esprit critique, promouvant le pouvoir d’agir des plus faibles et encourageant une solidarité fondée sur la quête de justice sociale (égalité d’accès aux droits) et cognitive (égalité d’accès au savoir).
La financiarisation s’infiltrant à tous les niveaux de la société, elle la soumet de plus en plus soumise aux impératifs de l’idéologie technico économique et de sa culture de la productivité et de la rentabilité, de la compétitivité et de la performance.
Le choix des actions engagées est jugé à l’aune du retour sur investissement. Les injonctions de bonnes pratiques sont pilotées par la mesure de leur impact social. Quelle est la plus-value obtenue ? Combien ça rapporte ? Qu’est-ce que cela a évité en termes de coût social ?
Tournant le dos à l’Etat providence, la politique d’action sociale vise dorénavant à réduire les dépenses publiques et à diminuer le nombre de fonctionnaires. Les pouvoirs publics ont commencé par réduire progressivement la part de leurs subventions de fonctionnement dans le budget des associations. Celui-ci a baissé de 34 % en 2003 à 20% en 2020. Puis, le « new public management » a introduit dans le tiers secteur les recettes de l’espace marchand : appel à projets plaçant les associations en concurrence, transformation de l’usager en client d’une prestation, intégration de l’action sociale jusque-là réservée et protégé à la logique du marché compétitif. Enfin, l’intervention publique se met au service de la concurrence et du capital. Elle promeut les entreprises sociales et autres start-ups dont l’ambition ne s’inscrit ni dans la justice sociale (égalité d’accès aux droits), ni dans la justice cognitive (égalité d’accès au savoir). Si ces structures captent les financements publics, c’est avec pour objectif de faire du business.
Les centres sociaux ne sont plus aux commandes de leur projet associatif. Les initiatives ne viennent plus d’en bas, d’une co-construction avec les habitants et usagers. Ce sont dorénavant les financeurs qui ont l’initiative, privilégiant avant tout la stabilité budgétaire.
Les directeurs ne sont plus recrutés en tant qu’acteurs de l’éducation populaire, mais sur leurs qualités et leurs compétences de gestionnaire, ainsi que sur leurs aptitudes à s’adapter à la compétition du marché des services.
Les centres sociaux sont piégés. Alors que l’innovation sociale déployéesde tous temps à leur initiative a toujours été fondée sur le pouvoir d’agir des habitants parmi les plus fragiles, ce qui prime dès lors c’est l’innovation budgétaire, leurs financeurs les incitant à trouver des ressources lucratives. Entre 2005 et 2012, ils ont reçu chaque année 3 % de subventions en moins, la commande publique quant à elle s’est accrue dans la même période de 9 % annuels. Ces impératifs ne font que les éloigner de plus en plus de leur raison d’être et de leur ADN. Plutôt qu’une production de connaissance et de pratique incluant les personnes concernées, c’est l’opérationnalisme qui l’emporte. Les problèmes sont résolus sans être pensés et analysés dans leur contexte, mais en tenant compte des impératifs financiers.
Pendant longtemps, leurs outils étaient d’une grande finesse et cousus main, parce qu’ adaptés à chaque situation. L’action menée est dorénavant tenue à reproduire un schéma de conduite reproductible. La source d’inspiration en est ce managérialisme qui interprète le monde à partir de seules catégorise de rationalisation gestionnaire.
Le livre d’André Ducamp alerte à propos de cette contagion progressive tant de l’économie sociale et solidaire que de l’action sociale par le secteur marchand, sous l’effet des experts, des gouvernements et de l’Europe.