Vulnérabilités en écho dans les métiers relationnels : les savoirs professionnels interrogés
LAVILLE Matthieu et MAZEREAU Philippe (Sous la direction de), Éd. INSHEA & Champ Social, 2021, 270 p
Bien plus souvent qu’on ne le croit, les pratiques professionnelles de l’aide se trouvent fragilisées par certaines vulnérabilités d’usagers. Ce livre rompt les tabous qui tentent de dissimuler cette réalité.
La vulnérabilité peut être liée à un évènement (potentialité à être blessé ou diminué) ou à une période de la vie (enfance ou vieillesse). Mais, elle est tout autant contingente à l’invariant anthropologique de la condition humaine : la fragilité de son existence.
La vulnérabilité qui fragilise les professionnels de l’aide et du soin en est l’illustration. Elle provoque un inconfort qui empêche à agir et contraint à un constant bricolage et au tâtonnement pour s’adapter et s’ajuster en permanence.
La vulnérabilité de tout travail social est d’abord inhérente à ce qui constitue son cœur : la relation humaine. Les situations évoluant en permanence, il est nécessaire de (re)construire les réponses et les modalités d’intervention, de revisiter les protocoles et de modifier les habitudes de travail.
Mais cette vulnérabilité peut aussi être la conséquence de l’injonction de plus en plus prégnante à la rentabilité de parcours et aux évaluations quantitatives. Cette exigence entre en contradiction avec l’irréductible incertitude quant aux résultats obtenus. La fragilisation induite est encore renforcée par des ressources toujours plus réduites, une invisibilité et un manque de reconnaissance récurrents.
Mais, le changement contemporain de paradigme de l’action sociale longtemps dominant est aussi un facteur aggravant. La logique s’appuyant sur la réparation et la correction plaçait jusque-là les professionnels en position de maître d’œuvre.
Celle qui a émergé récemment est fondée sur le droit des personnes dans la prise de décision les concernant. La mise en capabilité a fait perdre aux professionnels la totale maîtrise et le contrôle de la démarche d’aide.
Cette réorganisation complète des rapports avec les usagers a modifié la structure de la légitimité des savoirs. Ne plus travailler sur autrui, mais avec lui entraîne un sentiment potentiel de perte de pouvoir d’agir, de dégradation de l’efficacité de l’action et d’attaque de l’estime de soi professionnel.
Une nouvelle approche émerge de cette porosité, de ce transfert et de cette contamination croisée entre la vulnérabilité des aidés et celle des aidants.
Une évolution de la manière de penser et d’agir peut alors s’appuyer sur l’expérience de leur interaction permanente. Elle tourne le dos à la quête traditionnelle d’invariants et de mise à distance. Tout au contraire, elle privilégie des allers-retours entre les interprétations de la situation, les propositions et acceptations des inter-actants. Même s’il ne l’est pas de manière identique, le partage des difficultés de vécu peut donc constituer un atout plutôt qu’un problème.
Les dix chercheurs ayant contribué à ce livre éclairent cette mutation fondamentale à partir de la présentation de différents publics. Personnes porteuses de handicaps rares, troubles du comportement, personnes âgées en EHPAD, professionnels d’ESAT viennent l’illustrer… L’occasion de démontrer l’ampleur du mouvement amorcé.