La chasse aux enfants
Jean-Hugues LIMES, Le cherche midi, 2004, 267 p.
Depuis que sa mère l’a abandonné, Raymond a été ballotté d’orphelinat en orphelinat. Et puis, il y a eu cette fugue du centre d’apprentissage et l’errance. Son plaisir était d’emprunter des livres dans les librairies. Ce n’était pas du vol, puisque, une fois lus, il les remettait en place. Le jour où il s’est fait prendre, il est âgé de 13 ans. Il est condamné à séjourner jusqu’à ses 21 ans dans la colonie pénitentiaire de Belle Ile. Dès son arrivée, il est placé en cellule. Tous les quarts d’heure, la lumière s’allume. Il doit se lever, se mettre au garde à vous et répondre présent à son nom. Au premier tour, Raymond n’a pas répondu. Le gardien s’est précipité dans la cellule et d’un grand coup de pied dans le ventre lui a rappelé la consigne. Bienvenue en enfer ! Le dortoir se situe dans un grand hangar de quatre vingt mètre de long. Chaque colon dépose ses vêtements avant d’entrer dans une cellule d’un mètre cinquante sur deux, des petits cubes grillagés en bois, dotés d’un matelas grouillant de punaises. La discipline est terrible : tout crime impardonnable est sévèrement châtié. « Avoir répondu au gardien », « mauvais esprits », « a tourné la tête dans les rangs », « tentative de bavardage » et c’est le cachot où les gardiens se défoulent en venant passer à tabac un enfant à tour de rôle. Dans la journée, c’est la pelote. Dans une salle couverte, une piste ovale, étroite de trente centimètres sur laquelle les enfants doivent courir pendant des heures. Celui qui tousse, trébuche ou bavarde, est privé du seul repas servi dans la journée. Le nombre de quart d’eau est rationné : un le matin, un le soir. S’il tombe, tant pis pour le puni qui attendra la ration suivante. La fatigue de marcher sur une petite bande de bois couverte d’échardes, la tête vide, sans parler, le regard fixe sur la nuque du voisin, pendant des jours et des jours abrutit les plus durs. A force de tourner sur le parquet vernis, les pieds s’échauffent, gonflent. Des cloques éclatent. Les talons sont en sang. A sept heures du soir, le troupeau abruti de fatigue est poussé dans sa cage. Après le passage du règlementaire riz-au-gras et morceau de pain, les punis s’écroulent sur leur grabat, épuisés. Les enfants perdent très vite le peu d’innocence qui leur restaient encore. Ils se transforment en boule de haine, brisés, marqués par les coups reçus, au regard durci jusqu’à perdre la moindre étincelle sensible. Jean-Hugues Limes nous propose un roman terrifiant qui fait vivre sous nos yeux cet immonde bagne qui sortira de l’indifférence généralisée à la suite de la révolte de 1934. Les intellectuels s’en émurent : Jacques Prévert auteur du célèbre poème « la chasse à l’enfant » qui retrace la mobilisation des habitants de l’Ile pourchassant les enfants évadés, mais aussi le journaliste Alexis Danan qui initia des campagnes de presse pour obtenir la fermeture de ces lieux. Une lecture à la fois éprouvante et émouvante, mais indispensable pour la mémoire.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°778 ■ 15/12/2005