Les enfants du trottoir
Joël WEISS, éditions Michalon, 1999, 253 p.
La prostitution limitée pendant longtemps aux seules femmes, s’est étendu adolescentes, puis à la fin des années 70, aux jeunes garçons. Face à cette réalité qui serait le lot en France de près de 8000 mineurs, les pouvoirs publics ne se sont guère mobilisés. Ce qui rend d’autant plus précieux l’action de Joël Weiss, cet éducateur hors norme qui a consacré sa vie à aider les jeunes qui font le trottoir, à se soustraire à un tel destin. Il a du adapter son rythme de vie en conséquence : il prend sa voiture et sillonne de 22h00 à 3h00 du matin les quartiers chauds de la capitale (gare du nord, porte Dauphine, le Trocadéro …) et va à leur rencontre. Ceux-ci le connaissent bien, n’hésitant ni à lui demander de remplir des papiers ni à lui confier leur souffrance, ni à l’informer les petits nouveaux qui viennent d’arriver. La première prise de contact est toujours difficile. Inutile de vouloir convaincre, ou de forcer la main. Le déclic doit venir de l’enfant lui-même. C’est quand il se manifeste qu’il faut alors être disponible, à l’écoute prêt à agir. D’où ce patient travail de longue haleine et de mise en confiance : « sachant qu’on ne peut pas arracher un gamin au trottoir, comme à la drogue d’ailleurs, de force, il est indispensable que l’envie vienne de lui, quitte à stimuler son désir de décrocher et à faire l’impossible, pour l’aider à se réaliser. » (p.57) Joël Weiss nous fait vivre son combat au travers d’Eric, lycéen de 15 ans, en fugue d’une ville de province, qu’il réussit progressivement à apprivoiser et qu’il aidera à sortir de la prostitution : médiation auprès de la famille, rescolarisation, hébergement dans une petite chambre de bonne. L’adolescent finira par s’engager dans des études de médecine … Quoi de plus honorable que l’action de cet homme, pensionné de guerre, qui consacre tout son temps et son énergie à sauver du trottoir « les jeunes fruits qui y sont exposés et qui mûrissent prématurément, tombent et y pourrissent avant même d’avoir goûté le saveur de la vie » (p.19) Et pourtant, Joël Weiss est passé en correctionnelle le 23 mai 2000 pour avoir hébergé un mineur prostitué : 6 mois de prison avec sursis ont été requis contre lui. C’est que cet engagement qu’il a fait sien comporte un certain nombre de risques. Il faut éviter de se mêler aux innombrables embrouilles, la rue ayant ses règles dont il faut tenir compte sous peine de recevoir un coup de couteau de la part d’un proxénète. Quant à la loi, elle lui fait obligation de signaler immédiatement tout mineur en danger. Ce qu’il ne fait pas, préférant tisser cette relation de confiance qui portera peut-être ses fruits un jour. Mais cela n’est que toléré par les services sociaux, la police ou la justice. Et quand, confronté à une intense détresse, et pour faciliter son travail, Joël Weiss finit par céder à ce qu’il s’est bien promis de ne jamais faire : héberger un mineur prostitué, certains sautent sur l’occasion pour le juger pour proxénétisme !
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°535 ■ 15/06/2000