J’étais sa petite princesse...

Nelly, Fixot, 1994, 207p.

Une maison au milieu des bois, des parents chaleureux. Trois frères et sœurs qui grandissent dans le bonheur tableau idyllique d'une famille ordinaire. Mais derrière cette apparence trompeuse, il y a le drame qui se dessine. Un père qui garde dans le secret de son histoire un viol à l'âge de 5 ans ; et puis très tôt, la crise du couple qui ne tient plus qu'à cause des enfants. Nelly est la préférée de son père : il en néglige même le reste de la famille. Maman tombe en dépression. Elle est hospitalisée. Une fois rentrée, elle reste jour et nuit sous calmants et somnifères. C'est Nelly qui l'a remplacée comme seconde mère, portant sur ses épaules ménage, cuisine et lessive en plus de sa journée d'école. Devenue une seconde maman, elle devient une seconde femme. Baisers d'amoureux, main baladeuse, attouchements, puis viols répétés, quand tout le monde est couché.

La confidence obtenue par une professeur attentionnée, et c'est le signalement. Papa est arrêté à domicile et sort après 4 jours d'incarcération. Il retourne chez ses propres parents. Quant à Nelly, elle est arrachée à sa famille et placée en foyer. Ce n'est qu'au bout de 4 mois, après tentatives de suicide et fugues, qu'elle pourra revenir parmi les siens.

Mais, elle continue de sombrer : échec scolaire, vie sentimentale perturbée, repli sur soi... Par plusieurs fois, elle renouvellera sa tentative de mettre fin à cette vie de cauchemar. Le pire n'est-ce pas encore cette hostilité de la famille, des anciens voisins et amis qui tous reprochent à l'enfant d'avoir parlé, quand ils ne l'accusent pas d'être directement responsable de l'acte de son père. Nelly et sa mère se décident à porter plainte. Mais le procès qui condamne le père à 5 ans de prison ne résout rien. la rumeur continue, tenace et insidieuse colportée par les journaux qui font autant écho au verdict qu'aux arguments du père. Nelly devra passer par une émission de TV "Mea Culpa", qui en réunissant sur le plateau les principaux protagonistes permettra de crier la vérité à la face du monde.

Ce livre est le récit de ces quatre années d'enfer. Il atteste de cette conspiration du silence, du mépris et de l'hypocrisie qui est encore prégnante dans la France profonde, dès qu'on aborde l'inceste.

Mais ce témoignage, c'est aussi la profonde blessure et le désespoir extrême qui frappent au cœur de milliers d'enfants. Enfin, il s'agit aussi de prendre conscience des cruelles épreuves qu'entrains le traitement essentiellement judiciaire de ce genre d'affaire et qui transforme la victime en coupable. Une fois de plus sont démontrés les fantastiques effets pervers de la seule répression.

Ce ne sont ni un signalement ni une séparation ni un procès ni une condamnation qui ont permis de laver une victime mais... une émission de TV ! Décidément, nous vivons une drôle d'époque !

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°279  ■ 27/10/1994