Les quatre dimensions de l’inceste

Vincent LAUPIES, L’Harmattan, 2001, 236 p.

Psychiatre et psychothérapeute, l’auteur nous dresse ici un tableau des conséquences de l’inceste qui sans se vouloir exhaustif donne néanmoins une représentation assez complète de ce que peut vivre la victime de cette agression sexuelle qui a parfois tant de mal à trouver une mise en mots. Les premiers effets décrits ici sont de l’ordre de l’intrapsychique. Les traumatismes subis se situent tant en matière de troubles de la mémoire que de la concentration ou du sommeil, du sentiment d’irréalité que de la dissociation des émotions et des pensées, de rêves traumatiques que de somatisation, d’exposition à de nouveaux abus ou au contraire du risque de reproduction sur des tiers. L’agression vécue provoque une désorganisation des représentations sexuelles avec à la clé culpabilité, destruction du jardin secret, association entre la sexualité et la violence d’un côté et la tendresse de l’autre, inhibition des émotions et des apprentissages. Cette situation provoque en outre une profonde atteinte narcissique : soumission et dépendance à l’agresseur, disqualification des sentiments propres, impression de dilution de l’identité, angoisse d’abandon, dépression, addiction, automutilation, troubles de la sexualité, mais aussi du désir d’enfant et de la parentalité. Les effets sont tout aussi destructeurs dans la dimension interactionnelle. C’est d’abord de l’ordre de l’abus de pouvoir : l’enfant est instrumentalisé pour servir de faire-valoir psychique au parent. Littéralement sidéré par l’effraction de sa pensée et de ses émotions, il est comme programmé par l’agresseur dans une logique de captation et se vit en permanence comme habité par celui qui a réussi à le soumettre et à le déposséder de lui-même. Cette emprise provoque une méfiance et une attitude défensive visant au contrôle des relations. On se situe enfin dans une dimension éthique de la relation qui induit des difficultés face à la loyauté et à la confiance et une légitimation de la destructivité. Débilisation, psychose, prostitution, toxicomanie, suicide, agressions sexuelles… en sont les effets les plus destructeurs. Pour autant, une telle destinée n’est pas irrévocable, loin de là. Bien des circonstances permettent d’y échapper. C’est le cas de la psychothérapie largement décrite dans la seconde partie de l’ouvrage. L’auteur se référant à la thérapie contextuelle, favorise l’accueil des faits mais aussi leur contexte, la recherche des conséquences intrapsychiques mais aussi relationnelles. Il décrit tout autant les résistances au soin (l’être-victime comme identité, la peur de devenir vulnérable, les loyautés invisibles) que les risques auxquels se heurte le thérapeute (fuite de la victime, voyeurisme, activisme, enfermement dans la logique agresseur/victime, neutralité indifférente, risque de la dyade narcissique face à une personne en recherche de complétude…).

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°602 ■ 20/12/2001