Sociologie des "quartiers sensibles"
Cyprien AVENEL, Armand Colin, 2004, 128 p.
Les quartiers sensibles semblent concentrer l’archétype de l’exclusion et du mal-vivre. Pour autant, traiter des problèmes des banlieues revient le plus souvent à parler de bien d’autre chose. C’est justement ce que nous propose ce petit opuscule qui synthétise excellemment les thématiques de la ségrégation, de l’immigration, du racisme, de la violence, de la culture, de la question de la ville … qui s’y rattachent. L’auteur ne se contente pas de nous livrer une analyse rapide et réductrice. Il préserve la pluralité des processus et l’enchevêtrement des facteurs. On ne peut se contenter, explique-t-il, de l’approche objectiviste qui se focalise sur des faits mesurables permettant d’identifier les causes et les conséquences. Tout comme on ne peut se limiter à l’approche constructiviste qui étudie en quoi les représentations contribuent à fabriquer les problèmes sociaux. Ce qui se passe dans les banlieues est à la fois le produit d’une construction mentale et d’une situation objective. Même si les média contribuent à jouer comme caisse de résonance, ils reflètent à leur manière, malgré tout, ce qui s’y déroule. Quand les rodéos de l’agglomération lyonnaise font la une des journaux en 1981, ils ne font que rendre visible ce qui existait déjà auparavant. La hiérarchie spatiale qui s’est alors opérée correspond aux mécanismes de ségrégation urbaine ayant abouti à la séparation physique et à la mise à distance des plus pauvres. Ce n’est pas un hasard si les 751 zones urbaines sensibles regroupent 25,4% de chômeurs (12,8%, en moyenne), 40% de demandeurs d’emploi de moins de 25 ans (24,5%, en moyenne), 39% de sans diplômes à la sortie de l’école (21,2%, en moyenne), trois fois plus de rmistes et un ménage sur cinq en dessous du seuil de pauvreté (un pour dix, en moyenne). Les grands ensembles qui furent longtemps des étapes dans le parcours de mobilité sont devenus des sites de relégation et de désespoir d’intégration, accueillant en priorité une immigration de peuplement qui a cessé d’être seulement une immigration de main d’œuvre. Mais c’est bien la pauvreté et l’isolement qui referment sur une culture de quartier, pas l’ethnicisation. De fait, les parcours et les situations qu’on y trouve constituent une large mosaïque sociale et culturelle. Certains secteurs sont réputés paisibles quand d’autres sont considérés comme impossibles à habiter. Les habitants ont les pieds dans la précarité économique, mais leur tête est tournée vers l’univers culturel des classes moyennes. Et si les moyens mis en œuvre pour atteindre cette quête passent souvent par une micro-économie délinquante palliative au chômage d’exclusion, cette déviance dénote néanmoins une volonté d’intégration. Quant aux émeutes, elles ne sont pas l’expression d’une affirmation identitaire ou ethnique mais la réponse à un sentiment d’injustice et de mépris qui témoigne du souci de dignité et de reconnaissance.
Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°752 ■ 12/05/2005