Les marchands de peur. La bande à Bauer et l’idéologie sécuritaire
RIGOUSTE Mathieu - Éd. Libertalia – 2011 - 151 p.
L’offensive de l’idéologie sécuritaire a remporté, ces dernières années, des victoires éclatantes, tant à droite qu’à gauche. L’utilisation de la peur comme outil politique a permis de légitimer toute la chaîne de production du contrôle. L’insécurité dénoncée n’a jamais été ni la misère, ni la précarité, ni les violences policières, ni la promiscuité ou l’insalubrité des conditions d’incarcération, ni les discriminations ou les ségrégations, pas plus que la pénibilité, les accidents ou le harcèlement au travail. Ce qu’on n’a eu de cesse de stigmatiser, ce sont les « nouvelles menaces » que représenteraient l’islamisation de notre société, l’invasion migratoire, le terrorisme, les bandes organisées et les lieux où elles prolifèrent en priorité (certains quartiers populaires et zones du tiers monde). Mais tout cela n’est pas arrivé très spontanément, comme le reflet d’une réalité s’imposant naturellement à tout observateur. Il s’agit là d’une construction élaborée progressivement sous la pression de tout un réseau d’influence qui s’est constitué à compter des années 1990, regroupant une communauté de professionnels du renseignement, de la surveillance, du contrôle et de la répression. Organisant des séminaires, intervenant dans les conférences internationales, assurant des formations dans les écoles de police et de gendarmerie, irriguant les centres de décision de leurs notes, de leurs rapports ou de leurs études, ces managers de la peur, autoproclamés experts internationaux, ont amplifié les signaux faibles des prétendus risques à venir et fabriqué les raisons d’investir contre des menaces qui n’existaient pas encore. S’ils ont su mettre en garde contre de supposées menaces, ils ont tout particulièrement réussi à convaincre les dirigeants d’entreprise ou de banque, mais aussi et surtout les responsables des États de la possibilité de les éradiquer, en investissant dans des dispositifs de protection. La précarisation, l’isolement et la crise du lien social source du sentiment d’insécurité ont trouvé dans la délinquance des mineurs, la criminalité, les incivilités et l’immigration des explications rapides et pratiques. De quoi inciter les États, pour répondre aux demandes de protection de leur population, à choisir une politique venant alimenter les industries de la surveillance, de la répression, de l’incarcération et de la sécurité privée. Et le marché mondial de ce secteur est assumé à 100 milliards d’€ ! Mathieu Rigouste décrit avec précision le fonctionnement de cette plateforme de rayonnement et d’influence qui gravite autour d’Alain Bauer, en s’intéressant à sa biographie et à celles de trois de ses collaborateurs : Xavier Rauffer, François Haut et Yves Roucaute.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1021 ■ 09/06/2011