L’avenir du juge des enfants. Éduquer ou punir?
BASTARD Benoît et MOUHANNA Christian, érès, 2010, 238 p.
Les juges de enfants ont toujours constitué un groupe marginal dans la magistrature, jouant un rôle tout autant social que judiciaire, éducatif que répressif. Autant, ils représentèrent longtemps le symbole d’une justice humaniste et positive, progressiste et innovante, autant depuis quelques années, ils sont devenus la cible des critiques les plus acerbes, stigmatisant leur prétendu laxisme face à une délinquance des mineurs qui aurait changé. On leur demande de répondre avec rapidité et efficacité, alors qu’ils ont appris à tenir compte de la complexité des situations et des effets sur le long terme de leur décision. On exige d’eux de la réactivité, alors qu’ils pratiquent une approche compréhensive. L’ouvrage de Benoît Bastard et Christian Mouhanna se propose de faire le point sur ce groupe professionnel, qui plus que toute autre, se place au coeur des contradictions de notre société. Un certain nombre de caractéristiques pèsent depuis toujours sur l’exercice de la profession. Ainsi, tout oppose l’organisation collective du parquet, son esprit d’équipe et son organisation de plus en plus standardisée et le fonctionnement solitaire du juge des enfants qui doit assumer seul ses décisions, dans des conditions de travail difficiles, car sédentaires, astreignantes et engageantes, ne ressemblant à aucune autre fonction judiciaire. Chaque juge a une pratique qui lui est propre. Mais, d’autres contingences bien plus récentes sont venues compliquer encore leur tâche. Comme la stagnation du nombre de juges et de greffiers, malgré l’explosion du nombre d’affaires à traiter. Comme la place croissante des familles (mêmes quand elles sont considérées comme défaillantes), dont l’adhésion est de plus en plus recherchée: au juge des années 60 très prompt à retirer l’enfant de son milieu familial, a succédé, depuis les années 80, le juge soucieux de maintenir, parfois coûte que coûte, les liens avec les parents. Comme la montée en puissance des Conseil généraux, fournisseurs de dispositifs de placement, en nombre plus ou moins important. Comme la politique répressive et de tolérance zéro qui encombre les cabinets des juges de situations n’ayant rien à y faire (telles ces saisines par le parquet pour défaut d’assurance de scooter). Les juges des enfants pourront-ils résister longtemps à une politique pénale construite en écho avec les attentes de l’opinion publique, des élus et des policiers ? Les auteurs sont pessimistes, évoquant leur loyauté à l’égard du législateur. Plus que jamais attachés au cadre légal et à la loi, la majorité préfèrera quitter son poste que de se rebeller, n’ayant ni le poids (ils ne sont que 430), ni les capacités de mobilisation (dans le tiers des juridictions, ils sont seuls à exercer à ce poste), pour le faire.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1034 ■ 13/10/2011