L’antisémitisme expliqué aux jeunes

WIEVIORKA Michel, Éd. du Seuil, 2024, 148 p.

Pourquoi, à l’orée du second quart du nouveau siècle, est-il encore nécessaire de parler aux jeunes générations de cette souillure qui a éclaboussé l’Europe pendant 2000 ans ? Sans doute, parce que « le ventre est encore fécond d'où a surgi la bête immonde », comme l’écrivait Bertolt Brecht.

Et parce que la confusion est entretenue entre l’identité juive et le soutien aux crimes perpétrés par le gouvernement d’extrême droite d’Israël. Ainsi que l’usage abusif de l’accusation d’antisémitisme à l’encontre de toutes celles et ceux qui critiquent le colonialisme pratiqué par cet Etat.

L’antisémitisme est une pure production du 19ème siècle. Ce qui a longtemps dominé, c’est l’antijudaïsme, explique Michel Wieviorka. Et c’est la religion chrétienne qui en est à l’origine, désignant le peuple professant la foi juive, comme déicide. Son crime ? Avoir, selon le mythe du nouveau testament, fait crucifier le Christ.

Les persécutions se succèdèrent, tout au long du moyen-âge, contre une population éparpillée à travers toute l’Europe. Bouc-émissaire tout trouvé, elle se vit, tour à tour, accusée de sacrifier des enfants chrétiens, d’empoisonner des puits ou de répandre les épidémies. Le port de la rouelle arborée sur le vêtement (reprise par les nazis sous forme d’étoile jaune), l’interdiction de pratiquer certains métiers (encore en vigueur aux USA jusque dans les années 1960 !), les conversions religieuses contraintes (que le monde musulman ne pratiqua jamais) etc…furent imposés massivement.

Mais le mépris, la haine et les préjugés n’ont pas suffi. Les tueries s’en sont mêlées. De terribles massacres furent perpétrés par les croisés entre le 11ème et le 13ème siècle, par les Cosaques d’Ukraine au 17ème ou lors de Pogroms russes du 19ème. La solution finale appliquée par les nazis en sera l’aboutissement. La Shoah assassinera six millions de juifs, sans que pour autant la fin de la guerre ne mette un terme à un antisémitisme se prolongeant à l’est de l’Europe.

L’antijudaïsme a des racines religieuses. Mais l’antisémitisme trouve sa source dans le mythe nationaliste opposant une soi-disant origine aryenne des peuples européens aux racines sémites des populations juives (et arabes aussi, d’ailleurs). Cette fiction est grotesque et ignoble. Mais elle prend place dans une argumentation raciste plus globale tentant de justifier le colonialisme sur une pseudo hiérarchisation entre les races.

Les personnes qui se reconnaissent dans la judéité se sentent appartenir soit à un même groupe humain, soit à une religion, une culture ou des traditions partagées, sans qu’il y ait forcément confusion. Il est fréquent de se revendiquer de l’un(e) sans le faire avec l’autre. Il en va de même pour toute communauté qu’elle soit nationale, spirituelle, ethnique etc… Le peuple juif est composé de six millions de personnes habitant Israël et de huit millions répartis dans la diaspora du reste du monde. Une particularité lui est toutefois propre : l’existence d’un État se revendiquant comme un « foyer national » offrant à ce peuple refuge potentiel … construit en chassant les populations qui y vivait jusque-là.

Les persécutions, les massacres, les discriminations imposés aux juifs depuis 2 000 ans, aucun peuple ne l’a jamais subi dans l’histoire. Si ce groupe humain est le bienvenu dans notre pays où il a su trouver sa place, depuis que la Révolution française leur a grand ouvert les portes de la citoyenneté républicaine, l’oppression vécue dans leur chair ne saurait être un passe-droit pour autoriser certains nationalistes sionistes à perpétrer des crimes de guerre et contre l’humanité contre le peuple palestinien.