Le miroir. Retour dans les banlieues françaises
BRONNER Luc, Éd. Seuil, 2025, 203 p.
Luc Bronner débute son ouvrage par deux reportages aux antipodes et pourtant si proches. Deux facettes d’une même réalité : l’une largement couverte par la presse, l’autre quasiment invisible.
C’est par le menu qu’il nous décrit d’abord les émeutes qui ont embrasé 672 communes, il y a deux ans. Puis, il nous détaille l’action au quotidien menée par un Foyer de jeunes travailleurs à Châlons-en-Champagne pour accompagner l’insertion de ses résidents. D’un côté la colère alimentée par le désespoir et déclenchée, une fois de plus par la mort d’un jeune. De l’autre, une action socio-éducative qui porte ses fruits, mais à bas bruit, dans l’indifférence des médias.
Ces révoltes de rue qui éclatèrent en juillet 2023, furent le symptôme d’une certaine jeunesse qui va mal. Pas celle des beaux quartiers, mais celle des réprouvés. C’est toute une population jeune qui s’est soulevée, pas une en particulier. Les ¾ des mis en cause, arrêtés dans la rue, étaient de nationalité française, sans casier judiciaire et pour 1/3 sans diplômes. Aux côtés des Mohamed, il y avait beaucoup de Mattéo, de Kevin, de Jordan, de Yanis, d’Enzo et d’Adam !
Leur histoire est celle de « quartiers pauvres, faite de cris d’alerte et d’appels au secours que personne n’a voulu écouter et donc entendre » (p.144). Celle de banlieues jalonnées de violences urbaines et de plans gouvernementaux censés y répondre. Moins de services publics, moins de crèches, moins d’équipements sportifs, moins de professeurs… Autant de ségrégations qui amplifient les émeutes. Avec comme conséquence la sédimentation des morts et des blessés provoqués par des violences policières structurées autour d’un sentiment d’impunité.
Cela fait des décennies, que le choix a été fait entre la justice sociale ou le maintien de l’ordre. Les banlieues sont devenues le laboratoire de l’idéologie sécuritaire. Plus cette politique est en échec, plus elle alimente comme carburant l’appel à la répression. Entre 1990 et 2016, Paul Le Dreff a recensé 360 faits policiers mortels. En 1969, les prisons comptaient 69 détenus pour 100 000 habitants. Elles en avaient aujourd’hui 111, en 2021.
Le 17 novembre 2005, en pleine émeute, Graig Stapelton, ambassadeur américain à Paris, adressait déjà un télégramme confidentiel à son gouvernement : « le vrai problème est l’échec de la France blanche et chrétienne à considérer ses compatriotes à la peau noire et musulmans, comme des citoyens à part entière » (cité p 136)
Manifestement, notre pays ne l’a toujours pas compris. Notre République a créé en même temps les conditions de la ghettoïsation et la peur des ghettos ! Ce n’est pas tant ces territoires qu’elle a perdus que ces derniers qu’elle les a délaissés, abandonnés et au final livrés à une mafia qui commence à gangréner l’Etat lui-même
Luc Bronner termine son livre par un reportage sur le quartier de la Monnaie à Roman qui a défrayé la chronique journalistique après la mort de Thomas dans un bal à Crépol. Etonnamment la mort de Zacharia, quelques mois plus tard, pourtant du même âge, est restée tout à fait inaperçu. L’adolescent, il est vrai, n’appartenait pas à la bonne catégorie sociale…