La France des travailleurs pauvres

CLERC Denis, Grasset, 2008, 223 p.

Au cours de la décennie qui vient de s’écouler, le chômage a régressé et la pauvreté monétaire a reculé. En Europe, notre pays est en 4ème position tant pour le pourcentage de pauvres que pour le montant de son SMIC. Et pourtant, il y a divorce entre le mesuré et le ressenti. Jamais, depuis la seconde guerre mondiale, les salariés ne se sont sentis autant menacés. C’est qu’il faut peu de choses pour basculer en dessous du seuil d’une pauvreté qui frappait jusqu’en 1970 les personnes âgées et qui menace aujourd’hui le travailleur moyen. Pour Denis Clerc, le responsable de cette situation est à chercher du côté du travail précaire, partiel ou inaccessible : la lutte contre la pauvreté passe par la lutte pour l’emploi. Pourtant, la France n’a pas démérité. Entre 1992 et 2007, elle a créé 3,5 millions de postes de travail supplémentaires (70% de cette augmentation intervenant dans la période d’application des 35 heures), là où le Royaume Uni en a produit 2,7. Mais, dans le même temps, l’hexagone a vu sa population active croître de 3,6 millions de personnes, alors qu’outre manche celle-ci n’augmentait que de 1,6 million. Résultat : un chômage qui stagne dans notre pays à 9,8%, contre 5,3% au Royaume Uni. Mais, le problème qui se pose est bien plus qualitatif que quantitatif : ce n’est pas tant le manque d’emploi qui risque de se poser dans les années à venir que la question de l’employabilité. Au-delà de 4 mois de chômage, un salarié commence non seulement à perdre sa confiance en soi, mais aussi le savoir-faire acquis dans sa profession. L’auteur préconise toute une série de mesures devant permettre de faire face à cette situation. Et pour commencer, la formation : initiale tout d’abord pour faire reculer l’échec scolaire (la collectivité dépense 200.000 € pour les élèves de milieu favorisé qui fréquentent les grandes écoles et 100.000 € pour ceux issus de milieu populaire), continue ensuite, pour renouveler les compétences. Mais, il faut tout autant combattre le développement des emplois paupérisant, en conditionnant par exemple l’attribution des aides publiques aux engagements pris par les entreprises en la matière. Mais, il faut aussi développer ces emplois d’insertion qui permettent aux salariés abîmés par la vie de se reconstruire. Une telle politique représenterait un coût  de près de 10 milliards d’Euros. Mais, elle éviterait dans le même temps les 20 milliards que coûte une exclusion qui se cumule et s’allonge d’année en année. Dépenser aujourd’hui, pour mois dépenser demain. S’il n’est plus possible de revenir à l’Etat providence d’autrefois, il faut  passer résolument à l’Etat d’investissement social. C’est bien l’évolution de la situation des plus pauvres qui doit servir de critère et non les avantages accordés aux plus riches et leurs supposés retombées sur les plus pauvres, conclut l’auteur, dont la pertinence est décuplée sous les effets de la crise intervenue après la publication de son ouvrage.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°916 ■ 12/02/2009