L’injustice ménagère
DE SINGLY François (sous la direction de), Armand Colin, 2007, 236 p.
L’assignation du travail domestique aux femmes est un élément central de la domination masculine. Si cet investissement du quotidien est réservé au genre féminin, ce n’est pas parce que celui-ci aurait une quelconque appétence en la matière : il n’y a chez les femmes ni un sens naturel de l’intérêt général, ni des compétences innées à l’altruisme. Comment cette inégalité peut-elle donc se perpétuer et comment expliquer qu’elle soit acceptée ? C’est à ces questions que répondent les auteurs, en rappelant très vite que « si chacun a un sexe à la naissance, il ne devient du même genre qu’à force d’un travail long et permanent » (p.26). Tout est donc affaire de conditionnement et de socialisation qui s’avèrent bien différents pour les garçons et les filles, ces dernières étant préparées, depuis des siècles, à prendre en charge l’espace domestique, cet entretien devant devenir chez elles une seconde nature. Les garçons destinés, tout aussi prétendument naturellement, à occuper l’espace extérieur, prétextent spontanément de leur manque de temps, de compétences ou encore mieux de leur plus faible adaptation au standard du « propre » ou du « rangé », pour moins investir les tâches ménagères. En fait, la domination masculine cohabite avec le désir de chacun(e) d’être conforme à un genre qui se produit et se reproduit à l’ombre de la sphère privée. Ces inégalités sont peu contestées, même si les hommes tendent à surestimer leur contribution. Avec en moyenne 2h41 de temps de travail domestique pour eux et 4h33 pour les femmes, on était, à la fin du siècle dernier, ni dans une assignation complète, ni encore moins dans l’égalité. La compression des tâches ménagères et leur délégation à des tiers ont permis d’en finir avec la double journée qui s’imposait aux femmes, il n’y a pas si longtemps. Ce qui s’est progressivement imposé, c’est une norme de répartition « inégale mais juste » qui fait que chacun(e) trouve normal que la femme assure deux tiers, quand l’homme voit sa contribution réduite au tiers du temps ménager. A la division inégalitaire des charges communes, s’ajoute pour les femmes, les tâches traditionnellement considérées comme féminines. Au final, tout se passe comme si les femmes restaient enfermées dans l’injonction à faire, sans reconnaître, ni d’ailleurs se plaindre de cette discrimination pourtant criante. L’assignation ayant ainsi été intériorisée au point d’empêcher l’émergence de tout sentiment d’injustice. D’autant que l’homme ménager est un héros, là où la femme ménagère est normale. Notre société est encore largement imprégnée d’une coloration sexuée des activités. Pour que l’égalité s’impose vraiment, tant dans la sphère privée que dans la sphère professionnelle, il faudra que cesse cette répartition et que se généralise l’interchangeabilité des activités encore considérées aujourd’hui comme « féminines » ou « masculines ».
Jacques Trémintin- LIEN SOCIAL ■ n°888 ■ 12/06/2008