De la question sociale à la question raciale
FASSIN Didier & Eric , La Découverte, 2009, 274 p.
Le déni des discriminations raciales qui, jusqu’à récemment, a toujours prévalu peut s’expliquer pour au moins deux raisons. C’est d’abord le mythe d’une République une et indivisible qui était sensée assurer l’égalité de tous ses membres. C’est ensuite, les sous-catégories des hommes et des femmes, de jeunes et des vieux, des nationaux et des étrangers qui disparaissaient derrière la représentation écrasante d’une classe ouvrière mobilisée et combattante. Toutes les études, les unes après les autres, portant sur les conditions insalubre de logement, la limitation à certaines activités professionnelles parmi les moins gratifiantes, la concentration dans certaines zones géographiques les plus dégradées, l’importance de l’échec scolaire, etc… ont démontré la sur représentation des minorités nationales ou des génération qui en étaient issues. Dès lors, on n’a pas pu continuer à ignorer la correspondance entre la hiérarchie sociale et la hiérarchie ethnique. Mais, après avoir été aveugles aux discriminations raciales, il se pourrait bien que nous soyons aujourd’hui aveuglés par elles. L’anti-racisme est soupçonné de faire le jeu du communautarisme. La victime est blâmée : si elle se fait rejeter, c’est parce qu’elle se comporte mal, qu’elle revendique son particularisme ou refuse de s’assimiler (elle porte la barbe ou le voile islamique). On va jusqu’à prétendre que le discours contre les ségrégations subies desservirait la cause de ceux-là qu’il prétend défendre. Et de dénoncer l’existence d’un racisme anti-blanc qui prévaudrait au sein de ces minorités. Hier invisibles, ces discriminations seraient aujourd’hui surexposées. A peine ouverte, la fenêtre d’opportunité qui devait permettre de les traiter semble menacée de se refermer. Il n’en reste pas moins qu’appartenir à une minorité visible, c’est subir de graves préjudices. La personne qui les subit paie ce que l’on rejette en elle, à savoir précisément ce qu’elle est. A l’image de ces préjugés proportionnels aux nuances de couleur plus ou moins foncée de la peau, qui ont pour effet induit la production d’un marché florissant d’onguents et de crèmes réputés permettre de blanchir l’épiderme. Mais, « la vision continuiste de l’histoire qui lie de manière trop linéaire discriminations coloniales et contemporaines comme étant le produit d’un même racisme inchangé est inadéquat » (p. 79). Un cordon antiraciste protège l’hygiène morale des sociétés contemporaines. Pour autant, la nation française continue à chercher sa voie entre la tentation coloniale d’assimilation et le communautarisme anglo-saxon. Qu’il est difficile de tricoter l’ambition universaliste et la reconnaissance de l’autre dans ce qui lui est unique et singulier.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°987 ■ 30/09/2010