Le recours aux soins des demandeurs d’asile. Approche ethnographique de l’expérience de l’exil
BALLIÈRE Frédéric, L’Harmattan, 2011, 136 p.
La permanence d’accès aux soins de santé est un service dépendant de l’hôpital public, destiné aux patients trop en difficulté pour bénéficier du droit commun, trop pauvres pour avoir recours à la médecine de ville, trop isolés pour intégrer les réseaux traditionnels. Les demandeurs d’asile fréquentent tout particulièrement ces lieux, du fait même de leur manque de ressources et de l’impossibilité pour eux de prétendre à la Sécurité sociale. Mais, leur quête va bien au-delà d’une simple demande sanitaire. C’est l’énigme de cette utilisation bien particulière que Frédéric Ballière, assistant social pendant des années au sein de l’une de ces permanences, tente d’élucider. L’enquête ethnographique qu’il a menée propose une hypothèse tout à fait pertinente ne concerne pas que les seuls demandeurs d’asile, ouvrant une plus large réflexion sur l’articulation entre le soin et l’action sociale. La symptomatologie présentée par nombre de réfugiés mêle, de façon diffuse : céphalées, douleurs abdominales et fatigue généralisée. En l’absence d’un tableau clinique leur permettant de comprendre les mécanismes physiologiques à l’oeuvre, les soignants n’ont d’autres solutions que de traiter ces manifestations de souffrance, sans forcément avoir conscience qu’ils répondent ainsi à bien d’autres demandes. En fuyant la guerre, la répression, la torture, les demandeurs d’asile vivent une forte remise en cause de leur estime de soi. Ils subissent d’abord un déclassement social important, perdant le statut occupé dans leur pays d’origine. Ils se heurtent ensuite à l’indifférence, à la méfiance ou au rejet de la part d’interlocuteurs auprès desquels ils doivent justifier de la légitimité de leur choix de rester en France. Ils se heurtent encore à la solitude, ne bénéficiant plus des solidarités ni familiales, ni communautaires qui les protégeait jusque là. Ils souffrent, le plus souvent, de conditions d’accueil précaires et de la cohabitation avec des publics eux-mêmes en difficulté. Sans compter l’assignation à une identité dévalorisée induite par l’inactivité forcée qui ne permet pas de rendre ce que l’on reçoit de la société d’accueil. Tout cela, s’ils ne peuvent le dire avec des mots, ils vont l’exprimer avec des maux. Les enjeux sociaux sont déplacés vers la question sanitaire. Car, soigner ce corps qui constitue un invariant anthropologique rapprochant le demandeur d’asile de n’importe quel autre patient et proposer un traitement médical uniformisé, c’est permettre d’échapper au poids du stigmate, c’est soigner les identités blessées et c’est participer à la reconnaissance sociale et juridique de l’expérience de l’exil.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1036 ■ 27/10/2011