Handicap, éthique et institution
Jean-François GOMEZ, Dunod, 2005, 202 p.
La lecture de ce Jean-François Gomez-là est un vrai régal. Recueil de différentes interventions faites par l’auteur en diverses occasions, l’ensemble, loin d’être disparate est traversé par la sagesse qu’apportent une longe expérience et une fibre humaniste qui vibre encore comme au premier jour. Déclinons le titre choisi, pour le vérifier. Le handicap, tout d’abord, premier terme de la trilogie de l’intitulé du livre. Penser que les fous, les déficients mentaux, les déviants, les pauvres sont sans culture ou d’une culture de second ordre, fonde la discrimination, l’explique et la justifie, s’écrie Jean-François Gomez, revendiquant la nécessité impérative « que la personne handicapée soit respectée dans sa capacité d’entretenir avec les autres humains des échanges symboliques, qu’elle soit sujet et objet de transactions, de dons, d’échanges » (p.74) Travailler avec ces populations qui se présentent souvent comme des cires molles prêtes à s’accommoder de toutes les influences, nécessite d’abord de réfléchir sur sa propre jouissance et d’apprendre à s’adresser à elles, au plus fort de la question de leur propre désir. Mais, être à l’écoute du consentement suppose qu’on n’ait pas pris possession de l’autre et qu’on accepte son opacité. On est là au cœur de l’éthique dont l’auteur affirme que chaque fois qu’elle n’est pas première, elle devient un misérable gadget instrumentalisé : « j’ai eu beaucoup d’idées dans ma jeunesse, sur le handicap, l’institution (…) Aujourd’hui, après une longue carrière à me frotter à l’extrême complexité des choses et des êtres, j’ai l’impression de ne rien savoir » (p.179) nous confie-t-il, rajoutant qu’il se méfie de qui prétend connaître les handicapés, préférant ceux qui, tous les matins, cherchent à les comprendre ! Une telle humilité et une telle circonspection feraient bien d’inspirer tant de donneurs de leçons qui sont légions dans notre secteur et les orienter vers les vrais enjeux. Le concept d’éducabilité ne s’est pas construit de façon progressive et harmonieuse. La barbarie essayant toujours de reprendre le dessus, il faut instituer un réflexe systématique de résistance, afin de toujours refuser qu’une vie, fusse-t-elle la plus humble ou la plus démunie, ne puisse jamais être perçue comme étant sans valeur. Ce n’est pas ce que font toujours les institutions qui peuvent néanmoins, si elles luttent avec courage et persévérance contre leur pente naturelle totalisante et totalitaire et leur prétention à se maintenir dans l’autoréférence, devenir créatrice d’humanité. Une bonne institution n’est pas celle qui se plie aux exigences de l’actif et du passif circulant, aux besoins des fonds de roulement, ni aux impératifs liés aux immobilisations, mais celle où se font des histoires individuelles et collectives, et où chacun étant présent à son parcours, n’est pas toutefois indifférent au parcours de l’autre. Et le cheminement de Jean-François Gomez que l’on suit au travers des différents textes publiés ici ne peut laisser indifférent, tant par la sensibilité que par la générosité qui en émanent.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°761 ■ 14/07/2005