Où on va, papa ?

FOURNIER Jean-Louis, Stock, 2008, 155 p.

Devenir parent d’un enfant porteur de handicap ne peut être souhaité à personne, même à son pire ennemi. Quand on le devient, on essaie de l’assumer. Mais ce n’est pas une situation enviable. On souhaite le meilleur pour l’enfant qui vient au monde, et on fera tout pour le lui garantir, même quand il n’est pas comme les autres. Ce qui est souvent vécu comme un tremblement de terre devient sous la plume de Jean-Louis Fournier un récit bourré d’humour et d’émotion. A la lecture de ces pages, on rit et on pleure, on est pris à la fois d’angoisse et de fou rire, on est saisi de sentiments de tendresse et de désespoir. Un tel mélange de ressentis est plutôt rare. Aussi, ne faut-il pas se priver du plaisir de lire un tel ouvrage qui loin de nous éloigner du handicap ou de tenter de nous le faire oublier, nous plonge au cœur même de son quotidien. Le lecteur ne ressent ni apitoiement, ni commisération, mais une sensation de profonde humanité. Car, faire un enfant, c’est courir un risque, explique l’auteur. On ne gagne pas à chaque fois. Ce qui n’empêche pas de continuer à en faire. Lui en a eu deux, coup sur coup, frappés de handicap et il a attendu le troisième, pour arrêter la série. En de telles circonstances, un père digne de ce nom, n’a plus le droit de rire, ce serait du plus parfait mauvais goût. Le minimum de savoir vivre est d’avoir l’air malheureux. Ce que Jean-Louis Fournier a beaucoup de mal à faire. Si dans ces cas-là, ce n’est pas simple d’être parent, ça l’est encore moins d’être enfant : la première fois qu’il ouvre les yeux, il voie deux visages penchés sur lui, catastrophés et qui sont en train de penser : « c’est nous qui avons fait cela. » Ils n’ont pas l’air très fier. Il ne verra jamais quelqu’un rire en le regardant, ou alors quelques rires d’imbéciles qui se moquent. Certains dans l’entourage et les amis se veulent rassurant, se forçant à constater maladroitement les progrès réalisés : « moi, j’étais étonné des progrès qu’il ne faisait pas. Je regardais les enfants des autres. » D’autres ne se privent pas de dire des bêtises : les parents ne l’ont pas volé, c’est dans les gènes ou encore pourquoi ne l’ont-ils pas étouffé à la naissance comme un chat ? Quelle drôle d’idée ! Les enfants handicapés ne ressemblent à personne. S’ils étaient comme tout le monde, ils causeraient des tas d’ennuis à leurs parents: rien foutre en classe, bricoler leur pot d’échappement pour qu’il fasse plus de bruit, devenir délinquant, chômeur, épouser une conne, puis divorcer et le summum … avoir des enfants handicapés « on l’a échappé belle ». L’humour ne supprime pas le désespoir, il le soutient et aide à vivre avec : « j’ai l’impression d’être embarqué dans une grande farce (…) Ma route se termine en impasse. Ma vie finit en cul-de-sac » lâche l’auteur, dans ses dernières lignes. Somptueux.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°923 ■ 02/04/2009