Où va le médico-social ?
CHAVAROCHE Philippe, Éd. érès, 180 p.
L’épuisement de tous ces professionnels du médicosocial, de plus en plus souvent démotivés, ne menace-t-il pas la pérennité du secteur ? Philippe Chavaroche propose un diagnostic révélateur. Il y a d’abord cette disparition du clivage entre la maladie mentale et le handicap qui provoque l’accueil croissant de personnes souffrant de troubles psychiques, mettant en échec l’approche éducative qui ne peut compenser la carence des soins psychiatriques. Il y a, ensuite, cette nomenclature SERAFIN-PH dont la mise en œuvre a pour principaux objectifs de bien identifier les coûts et de flécher les financements à l’aune des performances évaluées. Les déficiences sont réduites à des altérations fonctionnelles qui doivent être réparées, comme autant de manques à combler, de défaillances qu’il faut traiter pour permettre aux compétences instrumentales et sociales de se rétablir. Quid des angoisses d’anéantissement et d’intrusion, d’abandon et de persécution ? Elles ne rentrent ni dans les schémas modélisables et opératoires, ni dans les actions programmables, rationnelles et planifiées qui rêvent de réduire les incertitudes et de promouvoir le prévisible et le maîtrisable. Quant aux projets individualisés qui sont orientés vers l’autonomie et le progrès de la personne, ils se heurtent aux obstacles d’un sujet en souffrance, perturbé dans ses rapports au temps, à l’espace, au corps et à l’intersubjectivité et qui peut se trouver en difficulté face à ces injonctions. Il n’y a plus de bienveillance, d’attention, de sollicitude, de vigilance, de préoccupation pour autrui, de souci de l’autre … Il n’y a plus que de la bientraitance devant se pratiquer selon les normes des guides de bonnes pratiques. On ne soutient plus, on accompagne. L’auteur le rappelle et le répète : les schémas adaptés à des affections somatiques ne peuvent s’appliquer à la souffrance psychique. Comment réussir à contenir les charges corporelles, physiques, affectives, morales qui attaquent les professionnels, sinon en reliant les observations, les émotions, les pensées et les actions. Et de faire l’éloge de cette fonction clinique institutionnelle qui aménage des temps de réunions d’élaboration collective, qui réunifie et met en mots, qui donne du sens à ce qui apparaît dissocié et fragmenté. Autant de supports qui contribuent à structurer un tissu relationnel souple et résistant en capacité de soutenir des professionnels éprouvés.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1313 ■ 15/03/2022