Des représentations du handicap et de la folie. Essai d’anthropologie historique

BONNEFON Gérard, Éd. érès, 2023, 254 p.

Si le soin, l’attention et la solidarité envers les plus fragiles sont aujourd’hui socialement acceptés, l’inclusion de l’altérité est bien loin de s’être généralisée. Et cela fait longtemps que cela dure

Gérard Bonnefon nous en fait la démonstration dans une étude dont l’érudité n’a d’égale que la justesse de ton. Le voyage auquel il nous convie embrasse les millénaires. Des traces préhistoriques jusqu’à l’opéra Carmen dans sa mise en scène contemporaine d’Alfredo Arias.. Des peintures de Velasquez, Brueghel, Goya et autres aux films « Freaks » (1932) ou « Forest Gump » (1994). Des œuvres littéraires allant de la Bible jusqu’à Hervé Bazin.

En tout temps, l’étrangeté due au handicap ou à la folie a généré l’inquiétude, la peur et l’exclusion. Celles de l’antiquité grecque où tout nouveau-né contrefait pouvait être exposé en pleine nature, proie idéale pour les prédateurs. S’ils survivaient, il était assuré de vivre un destin extraordinaire. Moïse, Œdipe ou Persée : la mythologie fourmille de ces enfants abandonnés.

Le Moyen-âge continuera à assimiler la maladie mentale à une malédiction de Dieu. Sauf à être désigné comme détenteur d’une parole divine. Ou à devenir des bouffons et « fous de cour » dont la différence est alors considérée comme inspirée par Dieu.

Pourtant, l’histoire n’est pas traversée que par la stigmatisation. Les études paléontologiques montrent que les squelettes étudiés portent des traces de fractures, de maladies ou de traumatismes bien antérieurs à la mort. Preuves d’un partage et d’une entraide nécessaire à la survie et vécues comme des vertus cardinales chez les chasseurs cueilleurs.

L’antiquité fourmille tout autant de marques de respect face au handicap. C’est Homère, l’auteur de l’Iliade et de l’Odyssée, que l’on disait aveugle. C’est Hippocrate qui préconise l’écoute bienveillante du malade mental, l’attention à son histoire personnelle et à ses conditions de vie. C’est Pythagore qui invente 600 avant JC la musicothérapie.

Les phénomènes processionnaires ritualisés soutenus par des musiques et des danses traversent le moyen-âge dans l’est de l’Europe. Associés à l’adoration de Saint Guy ou Saint Vit, ils sont alors censés soigner les troubles psychiques.

On en retrouva une autre manifestation dans les Pouilles italiennes, avec la Tarentelle. Prétendument causée par la piqûre d’une araignée (la Tarentule) en fait inoffensive, il s’agissait bien plus d’une véritable thérapie. La catharsis était provoquée par l’alternance de tempos lent et rapides, des pas légers et sautillant au rythme de mélodies répétitives.

 

Le 19ème siècle créera le premier spectacle de l’exhibition de la différence. Chantre des recherches sur cette affection mentale, le professeur Charcot fera monter sur la scène de son théâtre de l’hystérie des femmes offrant en représentation leurs corps convulsés, crispés et déformés. Ces séances les transformaient alors en objet d’étude loin de toute ambition de les guérir.

Très différent est l’art-thérapie contemporain. C’est là une démarche qui utilise l’outil artistique pour favoriser la resocialisation, la détente et l’apaisement, la valorisation et la restauration de l’estime de soi. Sans oublier le support pour exprimer ce que les mots ne permettent pas de dire.

Se pose aujourd’hui la question de la place du handicap et de la maladie mentale. Un art qui leur serait dédié ne ferait que les réifier en ne les faisant exister que par leur différence. La seule alternative éthique consiste à les faire exister au milieu des autres, non comme une monstration mais comme un par mi tant d’autre, variation dans l’infini de la diversité humaine.