L’accompagnement des adultes gravement handicapés mentaux dans le secteur médico-social
CHAVAROCHE Philippe, Ed. érès, 2012, 124 p.
La prise en charge des populations les plus déficientes, par le secteur médico-social, s’est réalisée, dans les années 1960, à partir du constat d’échec d’une psychiatrie ne sachant répondre que par l’enfermement dans des sections de chroniques incurables. Le savoir faire accumulé, au cours des années, a su prendre en compte le chaos pulsionnel et émotionnel incontrôlable où elles se noient, les passages à l’acte étant leur seul moyen de tenter d’en sortir. L’action s’est attachée à accueillir la symptomatologie manifestée, pour en faire un objet de rencontre et d’élaboration et à tenter de faire coexister l’hétérogénéité des handicaps et des pathologies. C’est là un pari compliqué à tenir sur le terrain, tant le monde affectif insondable de ces patients provoque d’impossibles désirs de réparation, tant l’expression accrue de leur angoisse de mort renvoie chacun à l’effroi de sa propre finitude et tant les profonds états dépressifs face à l’irrémédiable fatalité d’une vie à jamais diminuée par le handicap produisent un sentiment d’impuissance. Si la maladie mentale fonctionne comme un repoussoir de nos peurs, le handicap génère une tendance caricaturale à ne chercher que le développement des capacités instrumentales et sociales. S’il ne s’agit pas de les négliger, on ne peut priver le sujet de la possibilité d’adresser sa souffrance à l’autre, à charge pour ce dernier d’en comprendre le sens et d’en interpréter les symptômes, en allant au-delà des apparences. La quête fondamentale est bien l’inscription dans une communauté d’existence avec les autres humains. Les conduites excrémentielles et les gestes automutilateurs des personnes lourdement handicapées ne peuvent que mettre en échec les visées de normalisation et d’autonomisation des équipes, le désordre du trouble mental s’opposant à l’ordre supposé de la rééducation. Pourtant, c’est ce que pousse à faire la loi valido-centrée de 2002 qui considère la personne handicapée en pleine capacité de savoir et d’exprimer ses choix sur les prestations qui lui sont proposées. Dès lors, deux logiques s’affrontent. La démarche du projet personnalisé, d’abord, rationnelle et organisée qui vise surtout à faire acquérir des compétences pratiques évaluables. L’approche clinique psychanalytique, ensuite, bien plus aléatoire et désorganisée, qui privilégie la rencontre avec des usagers réels, non autonomisables et non insérables, mais s’ouvrant à leur problématique spécifique et à leur façon singulière de vivre leur vie d’humain et renonçant à leur imposer la manière dont ou voudrait qu’il la mène.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1120 ■ 03/10/2013