Abécédaire d’une anorexique

Margot ROCHET, Chronique Sociale, 2006, 96 p.

Margot Rochet a connu, à l’âge de 18 ans, un grave épisode anorexique. Ayant décidé de ne pas dépasser les 40 kilos, elle en pesait alors 37. Elle nous décrit dans ce livre de témoignage sa longue descente aux enfers. Condamnée à errer dans un labyrinthe dont elle ne voyait pas d’issue, elle atteint le fond des abysses. Puis, avec la pointe des pieds, elle réussit à donner une impulsion qui lui permit de débuter une longue, très longue ascension. Pourquoi s’est-elle ainsi infligé une torture aussi épouvantable que de s’interdire de manger à sa faim ? Son trouble anorexique marque le symptôme du malaise de son milieu familial : manque affectif d’une mère, disparition d’un père décédé bien trop tôt, absence de reconnaissance, dévalorisation importante par une cellule familiale complètement fermée et repliée sur elle-même. Le manque d’amour provoqua un vide immense et excessivement angoissant. Elle était seule face à ses questions et ses détresses de petite fille. C’est comme si elle n’avait pas le droit de les dire dans une famille où seules comptaient les apparences. Un adulte doit être fort et apaisant pour un enfant, pensait-elle : en refusant de grandir, elle finirait bien par se faire consoler. A la recherche perpétuelle de personnes susceptibles de la soutenir, elle ne put, en fait,  jamais partager son fardeau avec qui que ce soit. « j’avais un immense besoin d’être rassurée mais je n’existais pour personne » (p.19). Une première rencontre avec un psychiatre l’aida beaucoup. Mais le traitement hypercalorique prescrit ne fut pas suivi par une mère trop peu à l‘écoute des soucis de ses enfants. Celle-ci, trop investi à l’extérieur, n’entendit pas la demande de sa fille : « occupe-toi de moi, pense à moi, soigne-moi, sois une maman, regarde-moi, j’existe » (p.18). Il lui fallut des années pour régulariser sa sensation de faim. C’est une seconde thérapie qui lui permit vraiment d’accepter de ne jamais retrouver cet amour dont elle avait tant manqué. Ce fut une période difficile où alternèrent des moments d’angoisses insoutenables et des périodes de calme plat, sans pour autant qu’elle ne retrouve jamais les états par où elle était passée. Son inconscient s’étant progressivement construit sur ces angoisses, il lui fallut analyser le fonctionnement familial dont elle était issue, pour le comprendre et prendre conscience d’un certain nombre d’éléments de sa vie : sa mère l’avait nourrie de son vide, alors qu’elle voulait manger de la vie. Elle le sait aujourd’hui : elle gardera toujours une certaine fragilité émotionnelle. Mais, en prenant la décision de rompre avec sa famille, elle réussit à se libérer de toutes ses émotions engrangées. « Maintenant quelque chose est mort en moi, bâtissant un chemin de naissance et de vie » (p.90)  Le travail d’écriture qu’elle nous livre ici aura été libérateur. En jetant sa colère sur un clavier d’ordinateur, elle a mis sa douleur au passé et a trouvé dorénavant la sécurité, l’apaisement et la joie de vivre.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°836 ■ 12/04/2007