La santé à tout prix. Médecine et biopouvoir
BENASAYAG Miguel, Bayard, 2008, 140 p.
La préoccupation pour notre santé est devenue la question centrale de notre vie, au point d’en devenir compulsive. Notre corps est décomposé en une série d’organes à soigner et à protéger. Il est pris en main par des techniciens chargés de veiller sur lui. Derrière cette manie, Miguel Benasayag identifie bien plus qu’une simple mode : il dénonce l’émergence d’un biopouvoir qui quadrille nos existences, en les soumettant à des normes de plus en plus stigmatisantes : « le monde que nous sommes en train de construire est de plus en plus fermé à des vies différentes » (p.36). C’est le triomphe du fantasme de l’être complet et idéal à qui il manquerait quelque chose. Les difficultés vécues ne seraient pas inhérentes à la vie, mais relèveraient d’un échec dans la gestion de la santé et devraient en tant que telles être éradiquées. Ainsi, du handicap qui désigne avant tout ce qui fait défaut et renvoie dans le champ de l’anormalité tout ce qui présente une déficience, sans que soit pris en compte les modes de composition que cette situation induit. La surdité, par exemple, ne se résume pas à la privation du nerf auditif, elle permet aussi l’accès à une autre culture : celle de la langue des signes. La même dérive frappe la maladie d’Alzheimer : la personne qui en est atteinte est considérée, là aussi, sur le seul régime du manque et non comme une personne communiquant sur un autre mode. Il en va de même pour les soins palliatifs qui prétendent trop souvent élaborer la bonne façon de mourir, en invitant le malade à s’y conformer. Comme si notre société ne pouvait supporter la fragilité jusque dans les derniers instants de l’existence et qu’il lui fallait tout gérer et médicaliser de la naissance jusqu’au dernier souffle. Autre illustration du biopouvoir, le traitement du cancer qui est référé à l’unique responsabilité individuelle. Le rôle de l’urbanisme, des politiques sociales et des modes de production dans la survenue de cette maladie est exonéré : le malade se trouve très vite dans la peau du déviant et du coupable, seuls ses actes étant sensés expliquer son état. Pour autant, revendique l’auteur, il n’y a aucune fatalité à se laisser absorber ainsi par la normativité technique. On peut tout autant abandonner les critères qui définissent la personne à partir de ses seuls déficits, ce qui la fait disparaître derrière sa maladie. Ce qui compte, ce n’est pas de savoir comment combler la carence, mais d’agir à partir de ce qu’elle est. Tout au contraire, la clinique de la situation implique un non savoir sur le bien de l’autre : elle se construit dans la rencontre entre les connaissance pratiques et cliniques du praticien et l’expérience de vie du patient, sa famille et son environnement. Le corps est toujours pris dans un processus multiple qu’on ne peut réduite ni une quelconque classification ni à des réponses toutes faites.
Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°886 ■ 29/05/2008