Dans la peau d’un migrant. De Peshawar à Calais, enquête sur le "cinquième monde"

FRAYER-LALEIX Arthur, Ed. Fayard, 2015, 283 p.

Après s’être glissé en 2011 dans la peau d’un maton, le journaliste Arthur Frayer-Laleix a récidivé, en faisant de même avec un migrant. Il s’est grimé, se laissant pousser une barbe dense et sombre, portant une grande tunique et allant même jusqu’à se faire opérer des yeux, le port de lunettes n’étant guère crédible. Commençant par le Pakistan où il se mêle à tous ces candidats à l’exil fuyant la misère, la corruption et les attentats terroristes, son enquête se terminera au tribunal de Boulogne sur mer jugeant les passeurs, en passant par la Bulgarie où cherchant à être interné en centre de rétention, il sera expulsé dans le coffre d’une voiture de police. C’est un trafic de migrants qu’il décrit et non d’être humains, le transport d’hommes marchandise n’ayant pas pour finalité leur exploitation comme prostitués, travailleurs forcés ou esclaves domestiques, mais leur acheminement. Certains trafiquants sont corrects avec leurs clients ; d’autres les séquestrent pour extorquer plus d’argent à leur famille. Un système, fonctionnant depuis le Moyen-Âge, évite aux migrants de se faire dépouiller, tout en garantissant leur solvabilité aux passeurs : l’hawala. Le sârrâf (banquier) du pays d’arrivée leur verse en cash la somme déposée au sârrâf du pays de départ, les uns et les autres s’échangeant ensuite les créances de leurs clients. L’auteur ne cache rien de cette véritable industrie de faux papiers et même de décisions judiciaires fictives de condamnations à mort destinées à faciliter la migration et les demandes d’asile. Le témoignage qu’il nous livre raconte, de l’intérieur, toute une contre-société qu’il désigne, après le tiers et le quart monde, comme un cinquième monde. A l’issue d’un an d’enquête, l’auteur en est convaincu : quoi que l’on fasse, face aux désordres du monde, rien ne pourra empêcher cette migration.

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1176 ■ 07/12/2016