L'enfant mal aimé

Valentina SUPINO-VITERBO, Flammarion, 1999, 133p.

Encore un livre sur la maltraitance, pensera le lecteur. Et, il est vrai que ce thème attire beaucoup les auteurs et les éditeurs assurés de bien vendre sur un sujet aussi porteur. Mais Valentina Supino-Viterbo ne se contente pas de ressasser ce qui a été traité et retraité à de multiples reprises. Elle y ajoute une originalité et une pertinence qui font de son ouvrage un écrit passionnant. Son propos est illustré de nombreuses vignettes cliniques de sa pratique de psychanalyste et d’exemples tirés tant de l’histoire que de la mythologie. Mozart et Anna Freud ont-ils été l’un et l’autre sacrifiés à l’ambition de leur père ? Rudyard Kipling et Charles Dickens n’ont-ils pas fait passer dans leur œuvre littéraire respective toute la souffrance accumulée au cours de leur enfance ? On suivra aussi le sort pathétique de Camille Claudel qu’une mère abusive poursuivra de sa haine tout au long de son existence. Quant à Œdipe, Freud ne s’y intéresse qu’au travers du parricide et de l’inceste dont il se rend coupable. Pour, Valentina Supino-Viterbo, Œdipe est avant tout une victime qui agit sans savoir qu’il a à faire successivement à l’un, puis à l’autre de ses parents. Son père, Laïos, avait commencé par violer l’enfant du roi Pelops, avant de tenter de tuer son propre fils. En fait, le désir de mort à l’égard de ses propres enfants constitue l’un des complexes les plus anciens de l’humanité. Il est vrai que ceux-ci  sont toujours à la fois une promesse d’éternité génétique, mais aussi une menace potentielle pour leur existence. Pendant des siècles, l’infanticide sera d’ailleurs une pratique courante. Mais, cette violence parentale sera longtemps justifiée par les besoins d’une cause supérieure : meurtre d’Iphigénie par son père Agamemnon pour permettre le départ de la flotte grecque, tentative d’assassinat d’Abraham sur Isaac sur l’ordre de Yavé, sacrifice du Christ accepté par Dieu son père. « Tout se passe comme si pour gagner une guerre, pour qu’une religion puisse naître, il fallait qu’un enfant fut sacrifié » (p.25) L’auteur passe en revue les diverses formes de maltraitance : physique, sexuelle, psychologique sans oublier ce complexe d’Achille qui fait des enfants trop aimés et par là même étouffés des êtres incapables de s’autonomiser à l’égard de leurs parents, sinon au prix d’une grande culpabilité. Beaucoup d’enfants victimes refoulent une douleur qui peut réapparaître sous forme de dépression, agressivité, névrose d’échec, vol, fugue, tentative de suicide, destructivité. D’où l’importance pour soigner un adulte de toujours prêter l’oreille à l’enfant qui souffre en lui. Un certain nombre de comportements parentaux semblent néanmoins judicieux : c’est être « à l’écoute de son enfant, sans idées préconçues, prêt à se remettre soi-même en question et à modifier son comportement en fonction de la survenue de situations nouvelles. » (p.138)

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°529  ■ 27/04/2000