Il m’a tuée
Maryse VAILLANT, La Martinière, 2002, 288 p.
Des psychologues, on attend qu’ils soient capables de donner du sens aux évènements de la vie et aux comportements humains. Maryse Vaillant a eu l’occasion, tout au long de sa carrière professionnelle, d’exercer ses talents auprès d’une multitude de publics. Avec ce livre, elle applique sa perspicacité et son intuition à sa propre histoire personnelle. Oh, rien ici d’impudique ni de voyeuriste. L’auteure réussit à nous livrer ce qui relève de l’intime, tout en préservant l’universalité de son témoignage. Le lecteur est vite conquis par l’intensité et la force qui se dégagent d’un récit à l’écriture superbe, au déroulement captivant et à l’approche pleine d’émotion. Impossible ici de déflorer la trame de ce livre sans prendre le risque d’en affadir la portée. On peut juste peut-être préciser que ce qui nous est proposé, c’est une enfance et une adolescence chaotiques revisitées à cinquante ans de distance, une vision rétrospective d’une famille marquée par la forte personnalité d’une mère autoritaire et abusive et celle d’un père effacé et passif. C’est bien cette expérience douloureuse sublimée qui permet à Maryse Vaillant de comprendre si bien les mécanismes mis en place par un enfant harcelé par un parent : « toujours attentif, il ne peut relâcher sa vigilance. Il acquière l’habitude de contrôler ses propres gestes, jusqu’à ses pensées pour ne pas déclencher ce qu’il redoute. Il suffirait d’un moment d’inadvertance pour que son monde soit envahi. Alors, il construit autour de lui une digue de protection qu’il doit maintenir étanche à grand renfort de précautions. » (p.95) Et quand la tempête se déclenche, il faut à la fois fermer sa porte intime (se dire « cela ne me touche pas ; c’est son affaire ») et adopter une attitude extérieure adéquate. « Rester silencieux, le regard au loin, l’air gêné. Attention aux paupières ! Tout est dans les yeux : grands ouverts, ils défient, trop baissés, ils engendrent la suspicion. Ne jamais avoir l’air frondeur ou sournois, ne jamais donner l’impression d’être coupable, impatient ou mécontent.» (p.126) Si les parents de Maryse font inévitablement penser à ceux que décrit Hervé Bazin dans Vipère au poing, cette nouvelle Folcoche est prise en compte aussi comme un être de souffrance. Sa propre enfance faite de faim, de froid, de puanteur, de mépris, de brutalité et d’infamie permet sinon de l’excuser du moins de la comprendre. Si elle n’a pu prendre sur elle-même pour offrir une autre destinée à ses enfants que ce qu’elle avait vécue elle-même, sa fille a réussi quant à elle à s’appuyer sur des facteurs de résilience : un lieu de ressourcement (la maison de ses grands-parents), des personnalités attentive (une professeur de français) et surtout un animal de compagnie en qui elle a pu projeter la compréhension et la tendresse qui lui manquait tant. De quoi lui permettre de construire sa vie, sans se cogner à chaque instant aux reflets d’un passé par trop douloureux.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°650 ■ 23/01/2003