Où es-tu, Maman?
Roberte COLONEL, édition Michel de Maule, 2003, 170 p.
Récit terrible et bouleversant que celui de Roberte, enfant placée à l’assistance publique, catégorie A (comme abandon), matricule n°260.290. Elle grandira privée d’amour, mais gavée de souffrance. « Je compris très vite qu’il fallait que j’apprenne à ne pas trop demander de tendresse et de baisers ». Sa mère nourricière, mariée à un agriculteur pauvre, lui reprochera toute son enfance de manger trop et de coûter plus cher qu’elle ne rapportait : privations, humiliations, insultes seront son quotidien. « Ma maltraitance ne fut pas celle d’une enfant battue, bien sûr il y eut des gifles, quel enfant n’en reçoit pas, la maltraitance de mon enfance fut ces répétitions de mots, de faits, de privations qui sont autant destructifs que désespérants. » Quelques personnalités vont jouer un rôle de résilience : un père nourricier qui l’aidera malgré tout à grandir, une institutrice qui prendra le temps de s’intéresser à elle, la directrice de son internat qui, pour ses quinze ans, aura l’initiative de faire écrire, par ses amies, quinze cartes d’anniversaire, elle qui ne recevait jamais de courrier de quiconque. Roberte Colonel va s’en sortir, se marier, avoir deux enfants, devenir militante associative et même politique, réussir sa vie, enfin. Pourquoi, à l’âge de 59 ans, se met-elle à rechercher ses racines ? Le hasard d’une démarche administrative lui fait découvrir que ce père qu’elle pensait inexistant l’avait bien reconnu sur son acte de naissance. Il ne lui en faut pas plus pour retrouver sa trace. Si elle apprend ainsi sa mort récente, elle réussit à reprendre contact avec ses deux demi-sœurs et ses deux demi-frères dont elle ignorait jusqu’alors l’existence. « Une douleur persistait, devoir accepter que Maman et Papa eussent volé mon enfance, des mots durs et vrais. » Il fallait qu’elle rétablisse cette partie manquante de son histoire : elle devait savoir ce qui s’était passé. Depuis 1978, les pupilles d’Etat ont le droit de consulter leur dossier d’abandon. Il arrive parfois que celui-ci soit vide. Tel ne sera pas le cas pour Roberte. Ce qu’elle va apprendre va bouleverser le reste de son existence. En pleine deuxième guerre mondiale, c’est provisoirement qu’elle fut confiée par sa mère qui ne cessa ensuite de réclamer la restitution de sa fille. Des lettres pathétiques adressées régulièrement à l’administration ne vont pas faiblir la détermination de cette dernière : une enquête auprès de la famille d’accueil évoquait les risques que ferait courir à l’enfant la séparation d’avec un milieu nourricier présenté alors comme très investi. Roberte ne retrouvera jamais sa mère. Destinée tragique de combien d’enfants placés en un temps où la famille naturelle était vécue comme pathologique. Protéger passait alors par une coupure irrémédiable et définitive avec les parents jugés par essence, indignes. Cri du cœur et de douleur devant un tel gâchis, l’ouvrage de Roberte Colonel se lit avec beaucoup d’émotion.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°669 ■ 12/06/2003