Il m’a volé ma vie
SELIMAN Morgan, Ed. Xo Document, 2015, 237 p.
Cet ouvrage provoque tant l’incrédulité, que l’effroi et la consternation. L’incrédulité d’abord, parce qu’on a du mal à comprendre que des mécanismes d’emprise puissent à ce point maintenir un être humain sous la domination brutale et inhumaine d’un autre. L’humiliation, les coups répétés, la soumission décrits ici vont durer près de quatre ans … une éternité avant que Morgan Seliman ne réagisse. L’effroi, ensuite : la description qui est faite de la violence conjugale est hallucinante. Loin de tout voyeurisme, le récit nous fait entrer dans un quotidien terrifiant. Mais, il faut aller jusqu’au bout de ce témoignage, pour prendre conscience d’une réalité qui perdure, malgré toutes les campagnes de prévention et d’information. La consternation, enfin : dès lors où une prise de conscience émerge chez cette femme et qu’elle est prête à demander de l’aide, ce soutien n’arrive pas. Certes, nombre de perches lui ont été tendues autour d’elle. Elle ne s’en saisira pas. Quant aux institutions sensées la protéger, elles se montreront défaillantes. La gendarmerie ? Elle banalise la situation et refuse d’intervenir. La justice ? Elle ne réquisitionne pas auprès de l’opérateur les preuves des harcèlements téléphoniques. L’Éducation nationale ? Elle transmet des coordonnées permettant de retrouver cette femme battue, quand elle et son fils se réfugient en province. Un enchaînement de dysfonctionnements qui donnent le sentiment d’un amateurisme et d’un laxisme bien loin des intentions affichées de lutte résolue contre la violence faite aux femmes. L’auteur bénéficiera, par contre, de l’action déterminante de l’assistante sociale et de la psychologue de l’association « du côté des femmes ». Ce livre vaut d’être lu, pour son témoignage intense, bien sûr; mais aussi pour mieux comprendre ce qui se passe dans la tête d’une victime et s’interroger sur les étonnantes défaillances institutionnelles.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1181 ■ 17/03/2016