Se défendre. Une philosophie de la violence

DORLIN Elsa, Ed. Zones, 2018, 252 p.

Il y a toujours eu une ligne de démarcation entre d’un côté les sujets dignes de se défendre et d’être défendus et de l’autre les corps acculés à des tactiques défensives, sans que la légitimité à le faire ne leur soit jamais reconnue. Elsa Dorlin fait un récit terrifiant de la violence imposée tant par l’ordre colonial que racial. Tout acte commis par un esclave, un indigène ou un subalterne fut longtemps considéré comme potentiellement délictueux. Son auteur étant présumé coupable, il était livré à l’arbitraire de ses maîtres ou colons s’autorisant à le lyncher ou le supplicier. Les pratiques et cultures d’autodéfense ont toujours existé, même s’il est difficile d’en retrouver les traces. L’auteur en fait une description précise tant au sein du mouvement féministe, qu’au sein du ghetto de Varsovie ou dans la communauté gay. Opposant la philosophie de John Locke qui élève au rang de droit premier celui de se faire justice à celle d’un Thomas Hobbes qui privilégie la délégation faite au pouvoir d’État de protéger ses citoyens, Elsa Dorlin pointe le risque de l’autodéfense. Quand les proies se mettent à chasser, elles se transforment en chasseurs à leur tour, chacun devenant une proie potentielle. L’altérité est alors éradiquée au profit de la peur et de la haine, le cloisonnement et le quadrillage sécuritaires du territoire s’opposant à l’extérieur insécure réduit à la menace et au danger.

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1242 ■ 10/01/2019