L’essentiel d’Alice Miller
MILLER Alice, Ed. Flammarion, 2011 1002 p.
Alice Miller nous a quittés en 2010. Les éditions Flammarion lui ont rendu hommage en publiant quatre de ses ouvrages dans un même volume. Si les analyses présentées peuvent sembler aujourd’hui banales, elles ne l’étaient pas vraiment au moment de leur publication. Le décalage entre la gravité de ce que l’enfant subit et la conscience qu’en ont les adultes provient, affirme l’auteur, d’un mécanisme de refoulement massif. Cette inhibition organise le déni et incite à reproduire la maltraitance endurée. Tant qu’on ne franchit pas le pas de conscientiser ce qu’on a vécu dans son enfance, le risque est grand de l’appliquer à sa propre dépendance. Tel est le postulat que l’auteur développe à travers plusieurs monographies présentant l’enfance de meurtriers de masse comme Hitler ou le parcours chaotique de Chritianne F., jeune fille prostituée et droguée dont les mémoires publiées en 1983 connurent un retentissement dans toute l’Europe. Alice Miller n’hésite pas à s’attaquer au quatrième commandement de Moïse affirmant « tu honoreras ton père et ta mère », en l’accusant de bloquer et d’interdire toute tentative d’émancipation à l’égard de parents maltraitants. Dans cette quête des raisons de la perpétuation de cette cruauté éducative psychique qui a supplanté la maltraitance physique, l’auteur s’en prend vertement à la psychanalyse. Elle lui reproche d’avoir largement contribué à banaliser le mal, en transformant les traumatismes vécus en représentations fantasmées produites par le complexe d’Œdipe et de ne pas épauler les patients dans l’identification des véritables racines de leurs souffrances. Les analyses d’Alice Miller sont détaillées, argumentées et didactiques. Et même si son souci à vouloir trouver l’explication totalisante et universelle montre qu’elle ne s’est jamais complètement libérée de la croyance en une vérité éternelle, ses démonstrations emportent souvent l’adhésion.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1132 ■ 09/01/2014