Il faudrait que tu croies enfin à ma tendresse

SNYDERS Jean-Claude, Éd. Fabert, 2021, 220 p.

Comment la souffrance passée peut-elle déconnecter un adulte de l’inconditionnelle tendresse qu’il doit dispenser à ses enfants ? Jean-Claude Snyder prolonge ici sa longue quête intime autant que littéraire d’un père qui, pourtant si attentif à tous, drôle et chaleureux, pouvait dans l’instant d’après se montrer furieux et effrayant. Durement éprouvé par l’horreur des camps de concentration nazis, il avait cru protéger ses proches en enfermant son lourd passé dans un total silence. Mais, ne réussissant pas à retrouver la voie de la compassion tant malmenée par les épreuves subies, ne les avait-il pas au contraire, à son corps défendant, exposés à leurs conséquences ? Enfant, l’auteur a vécu ses reproches et ses réprimandes avec tant de désespoir, qu’il les ressentit comme autant de rejet, de détestation et de condamnation. Si cet être tant aimé le réprouvait à ce point, avait-il encore une raison d’être au monde ? De cette enfance traumatique dont il ne réussit pas à faire le deuil, il en retire une précieuse leçon qui doit pouvoir aider à comprendre les postures maltraitantes de certains parents. Et si le seul moyen pour exorciser la terreur qui leur a été imposée jadis, n’était pas d’effrayer et de faire souffrir à leur tour pour en effacer le souvenir ? Bien sûr, on est loin du comportement du père de l’auteur, qui remarque avoir suffisamment reçu de tendresse pour ne pas s’en prendre avec férocité à des innocents. L’occasion lui est néanmoins donnée de l’affirmer avec force : on aime d’autant mieux les autres, qu’on ne se sent pas haïssable ; on fait d’autant mieux face aux épreuves de l’existence qu’on peut s’appuyer sur un socle de moments heureux ; on agit d’autant mieux avec ses propres enfants qu’on a été bien traité pas ses parents. Quoi qu’il fasse, un enfant doit être persuadé qu’il est bon, digne et respectable. Ses tendances normales à l’agressivité et à l’hostilité, à la colère et à l’opposition, aux bêtises et aux transgressions ne doivent pas être réinterprétées comme une nature « mauvaise » qu’il faudrait redresser, mais gérées avec bienveillance et affection dans le but de l’aider à dompter ses pulsions. Même devenus grands et même adultes, les enfants ont besoin de s’entendre dire par leurs parents qu’ils les aiment et les estiment. Car, c’est bien du manque de tendresse et non pas son trop plein qui pousse à faire du mal aux autres.

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1316 ■ 26/04/2022