Adolescence, parole et éducation. Penser de nouvelles frontières
Jean-Pierre AUBRET, L’Harmattan, 2006, 330 p.
Lire l’ouvrage d’un collègue éducateur n’est pas si fréquent. Quand, en plus, les références théoriques s’articulent avec intelligence et bonheur avec l’expérience de terrain, pourquoi bouder son plaisir ? Jean-Pierre Aubret s’attache ici au dialogue qui est parfois si difficile à établir avec une classe d’âge réputée méfiante et distante des adultes. Pendant longtemps, explique-t-il, l’éducation a consisté à faire taire et à soumettre à une parole orthodoxe destinée à (re)dresser les esprits et les corps, prévenir les égarements individuels et former des personnalités respectueuses d’un ordre cosmologique et social non contestable. Sous l’effet des pédagogies prônant le libre exercice de l’intelligence enfantine, l’expérimentation et l’auto compréhension, l’approche relationnelle a profondément changé. On a compris, que pour entrer en relation, il fallait commencer par déconstruire ses représentations et taire ses savoirs. L’incertitude l’a emporté du fait qu’il y a autant de raisons d’agir comme on le fait que de faire autrement. Du côté de la parole, trois formes se sont distinguées. La première relève de la conversation. Détendu, égalitaire et tolérant, cet échange se déploie dans un espace temps plutôt informel et marqué par la libre confrontation. Aucun interlocuteur ne prétend à la moindre supériorité et les désaccords ne provoquent pas de condamnation de l’opinion adverse. Seconde forme prise par la parole : l’entretien coopératif. Il se situe dans une dynamique démocratique et anti-autoritaire et vise à faire évoluer une situation. La compréhension et l’intérêt de l’adulte marque la reconnaissance de l’adolescent. Troisième forme possible : la dispute. Du côté de l’adulte, on trouve le souci de guidance s’inspirant de savoirs d’expériences. Du côté de l’adolescent, il y a le refus d’être envahi par une pensée considérée comme aliénante et la quête d’une recherche singulière de son chemin de vie. Les propos de l’adulte sont perçus comme un déni de ses capacités, un soupçon quant à sa sincérité, une conduite abusive d’intrusion et de contrôle sur sa sphère privée. C’est que, parvenu, du fait de sa maturation intellectuelle, à penser comme l’adulte, il a justement le souci de s’en différencier. Connaissant de l’intérieur la pensée rationnelle, il sait comment dénoncer et contre argumenter. C’est sur l’ensemble de ces registres qu’il faut savoir jouer : sérieux et humour, provocation et invitation au dialogue, affrontement et demande d’aide, risque de parole et retrait dans le silence. Cette pluralité des modes de parole est propre à une nouvelle culture professionnelle. Celle qui voit l’accompagnateur et l’accompagné cheminer côte à côte, sans connaître les termes du voyage, qui privilégie la déconstruction et la relativisation des vérités et qui utilise le socle des valeurs personnelles, non dans un but impérialiste d’imposition, mais comme dignes d’être proposées car servant d’ossature à une expérience vécue.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°867 ■ 10/01/2008