Le bonheur d’être adolescent

Marie CRISPI-CRAUSTRE et Michel FIZE, érès, 2005, 270 p.

Michel Fize rapporte qu’au cours d’une interview sur Rfi, le journaliste présenta son ouvrage, en qualifiant son titre d’« ironique ». Comme si, parler du bonheur d’être adolescent ne pouvait être pris qu’au second degré et que, pour être crédible, il fallait surtout évoquer la crise et l’opposition. Certes, les tensions ne sont pas niables à cet âge qui peut voir apparaître des difficultés. Ce qui est contestable, c’est l’idée d’une crise biologique nécessairement inéluctable. De fait, ils sont légions les ouvrages qui présentent l’adolescence comme un âge de sinistre réputation qui meurtrit et handicape, nécessitant une prise en charge par les spécialistes de la pathologie. Ils sont bien plus rares ceux qui, s’opposant aux idées reçues, évoquent des sujets qui ne sont ni forcément immatures, ni forcément violents, ni obligatoirement opposants-nés, mais au contraire, qui regorgent d’intelligence et de capacités. C’est ce que nous proposent les deux auteurs, à travers l’étude méthodique et quotidienne d’un groupe de jeunes, suivis sur une période de cinq années, depuis leur CM2 jusqu’à leur classe de seconde. Etre adolescent, c’est adopter un mode de vie propre qui a son langage et ses parures et qui puise plus qu’on ne l’imagine dans le bonheur d’exister, les moyens de mener une vie féconde, d’asseoir une nouvelle identité, de grandir, de se confronter aux autres afin de préparer l’entrée dans la vie adulte. Pour autant, rarement une notion a été à la fois si familière et si obscure. Hippocrate situait cet âge entre 14 et 21 ans, Ambroise Paré entre 18 et 25 ans. Les auteurs nous proposent une modélisation qui permet de préciser les contours de cette période de la vie. Ils distinguent entre la première adolescence (10-11 ans), l’adolescence moyenne (12-13 ans) et la grande adolescence (14-15 ans) qui débouche ensuite sur la première jeunesse qui s’ouvre avec l’accession au lycée. La sortie de l’enfance est marquée par l’entrée au collège, rupture avec le socle de sécurité que constituaient la linéarité temporelle, la permanence et la familiarité liées à la fréquentation des mêmes lieux et mêmes personnes. C’est progressivement que va s’affirmer la personnalité du sujet au travers de l’appropriation d’un espace propre (la chambre dont l’intimité est jalousement défendue), de l’émergence d’une capacité nouvelle en terme de réflexion, de l’introspection et de perception critique du monde adulte (les premières victimes étant les parents et les enseignant qui chutent de leur pied d’estal ! ), de la revendication de plus de liberté pour sortir, pour veiller le soir, pour arborer les vêtements de son choix, de la recherche de l’autre et de l’intérêt pour la sexualité qui devient, petit à petit, central… C’est bien cette évolution que nous montre l’ouvrage qui, tout en réhabilitant un âge trop souvent décrié, propose de multiples illustrations et témoignages.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°753  ■ 19/05/2005