20/30 ans de jeunes adultes à découvert

Guy LESCANNE, Éditions Desclée de Brouwer/Panorama, 1994, 219 p.

Sociologue et prêtre de son état, Guy Lescanne nous propose une projection réalisée à partir de 20 000 questionnaires (réponses à l'enquête du journal Panorama) et de 54 entretiens non-directifs.

Les 20/30 ans seraient une génération sans Histoire. Ceux marqués par la guère d'Algérie ou Mai 68 ont un sentiment d'appartenance basé sur un événement commun. Ce n'est pas le cas pour la "bof-génération" qui, elle, n'a pas eu à se battre pour bénéficier d'une liberté qu'elle a trouvée pour ainsi dire dans son berceau. Cette classe d'âge n'a pas conscience de former un groupe. Elle constitue plus une juxtaposition d'histoires singulières. Pour autant, on peut avancer un certain nombre de, traits caractéristiques à ces 20/30 ans.

Il y a d'abord cette indécision qui se manifeste par la volonté de limiter les risques de déception et l'hésitation à prendre position et à s'engager. Il y a ensuite la déresponsabilisation qui tient en 3 réactions : dévalorisation des institutions politiques, associatives et religieuses, volonté de se protéger à tout prix, dérision cynique comme résultat d'espoirs déçus. Il y a enfin la survalorisation d'une tolérance qui aboutit au prétexte que "chacun a sa part de vérité" et que toutes les attitudes sont relatives, à la dissolution du pensable dans le probable. Les repères s'effritent, les valeurs i quelles qu'elles soient) se dissolvent, la cohérence disparaît.

Voilà donc bien un jugement sévère sur une génération désignée comme tardivement mûre et vite vieillie. L'auteur rappelle que si pour la génération de 68 tout était permis, pour les 20/30 ans tout peut arriver, aussi bien le pire que le meilleur. Cette hantise d'un avenir incertain permet de comprendre de tels comportements. L'impossibilité d'exister collectivement privilégie le retour à la famille comme valeur-refuge. C'est là à la fois une aspiration profonde en tant que la famille représente un lieu calme, serein et sécurisant face à un monde extérieur ressenti comme potentiellement agressant, mais aussi une inquiétude liée aux ruptures qui émaillent si souvent un parcours familial qui s'édifie plus autour des enfants que du couple.

La famille constitue l’ultime et essentiel objet d'investissement, quand les espoirs d'épanouissement professionnel se sont transformés en déceptions et en désillusions. 

Guy Lescanne consacre la dernière partie de son ouvrage aux perspectives d'évolution positive de cette génération.

C'est aux aînés d'agir comme force de proposition pour offrir des traditions vivantes et favoriser des chemins d'identification.

Ainsi, en osant avoir leur âge et leurs valeurs, ils permettront aux plus jeunes d'avoir les leurs, et de trouver enfin leur place dans notre société comme citoyens libres et responsables.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°286  ■ 15/12/1994