Nos enfants
Sous la direction de WIEVIORKA Michel, éditions Sciences Humaines, 2008, 291 p.
Prenez un thème, réunissez une vingtaine de chercheurs, d’élus ou d’acteurs de terrain et faites-les plancher sur le sujet que vous avez choisi. Vous obtiendrez une foire à l’intelligence. C’est la recette appliquée, chaque année, aux entretiens d’Auxerre. La trame pour le rendez-vous de 2007 était : « nos enfants ». De quoi décliner un portrait sur cette période de la vie de l’Homme qui a pris, dans la période contemporaine, une dimension tout à fait originale. Nos enfants sont entrés dans un autre temps et un autre espace que le nôtre. Ils sont 85%, entre 12 et 17 ans, à surfer quotidiennement sur la toile. Ils sont encore plus nombreux à s’abreuver du petit écran qui ne les rend pas forcément plus violents, mais les enferme dans des comportements que renforcent des surcharges émotionnelles pas toujours maîtrisées. Nos enfants développent des compétences infiniment plus complexes que celles que nous devions acquérir à leur âge. Ils montrent, en outre, des capacités de plus en plus précoces à les mettre en œuvre. Considérée longtemps comme un stade primaire de l’évolution humaine, l’enfance tend aujourd’hui, au contraire, à être encensée. On n’attend plus de nos enfants qu’ils apprennent à se conformer à des valeurs, des normes et des rôles décidés pour eux, mais qu’ils se comportent comme des sujets capables de réflexion, d’autonomie, d’esprit critique et de prise de responsabilité. Là, où nous montrions quelque impatience à grandir, ils semblent prendre leur temps, 57,1% des 20-24 ans résidant encore chez leurs parents. Ce sont les adultes qui sont interpellés sur leur faculté à préserver la part d’enfance qui est en eux. La relation avec leurs parents s’en trouve bouleversée. Même si 65% de nos enfants reproduisent nos orientations politiques, ils opposent un droit d’inventaire à notre désir de transmission et répliquent par leurs propres revendications identitaires à nos projections narcissiques. Mais, l’injonction à être l’entrepreneur de sa propre vie n’est pas sans effets pervers, notamment quand elle occulte les paramètres sociaux et individuels qui pèsent sur la trajectoire de chacun. Moins l’enfant est considérée du point de vue de la société, moins il est susceptible d’apparaître comme une partie saine. Les difficultés qui émergent sont alors identifiées à un développement mal conduit, à une socialisation imparfaite, voire à une menace pour l’ordre public. En 2005, 70.000 d’entre eux ont subi une condamnation pénale, dont 3.500 peines de prison ferme et 15.000 de prison avec sursis, preuve que la société sait se protéger, contrairement à ce que l’on dit fréquemment, contre ce qu’elle a elle-même engendré ! Reste l’éducation à une citoyenneté qui permet, au final, d’échapper aux persécutions de sa condition sociale spécifique, de s’arracher aux intérêts particuliers et d’accéder à l’intérêt général.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°919 ■ 05/03/2009