La passion de l’enfant - Filiation, procréation et éducation à l’aube du XXIe siècle
Laurence GAVARINI, Denoël, 2001, 418 p.
Les enfants et l’enfance sont littéralement devenus objets d’une passion où le sacrifice le dispute à l’amour (p.19). Tout a commencé par cette intense activité autour du bébé. C’est vrai que cet âge a longtemps été perçu comme une période végétative dominée par les seuls réflexes primitifs. Et puis, le bambin que les parents s’appropriaient dans un rapport de domination jamais questionné, est devenu ce projet d’être humain à venir, doté de capacités propres tant relationnelles que cognitives, dont les conditions d’épanouissement sont devenues primordiales pour le devenir de l’adulte. Très vite, l’enfance valorisée pour sa souplesse, son changement permanent et sa capacité à se transformer, fut vécue comme menacée par une éducation par trop traumatisante et répressive. Les pédagogies de contention et de contrainte n’allaient pas tarder à être rejetées aux poubelles de l’histoire au profit des méthodes nouvelles propres à éveiller, stimuler et déceler des potentiels qui ne demandaient qu’à s’exprimer. Les apprentissages seraient de plus en plus précoces jusqu’à les appliquer au fœtus lui-même. Le bébé est une personne. Certes, mais il est condamné s’il n’est pas en avance sur son âge. Fini l’enfant musard, lent et imprévisible. Ils ne rentrent pas dans la définition de la maltraitance, ces enfants cassés psychiquement par la violence sourde, ordinaire, banale de l’hyper activisme pédagogique et l’hyper stimulation éducative. C’est dans cette même période que triomphe le contrôle de la fertilité et la libre consommation de la sexualité. La médecine, appelée par ailleurs à traiter la quasi totalité des maux (qu’ils soient somatiques ou subjectifs), s’est vue chargée, en plus, de la terrifiante mission d’exorciser le corps résistant au désir : détournement de la stérilité, contrôle du moment de l’enfantement, choix de la naissance. Des techniques d’insémination jusqu’alors appliquées à l’élevage des animaux furent étendues aux humains. Le projet eugéniste réapparut au travers de ce projet d’enfant parfait, respectant des critères de sexe et d’intelligence correspondant à la commande des parents. Le droit à naître normal a remplacé le droit à naître en bonne santé. Les seuils et frontières entre le pathologique et le normal se sont déplacés vers la normativité scientifique. On est dans la traque de l’enfant idéal, sans handicap. De la programmation des naissances, on est passé à la maîtrise de l’indétermination de l’enfant à naître. L’échec scolaire est même médicalisé : tous les comportements dont on ne sait que faire sont psychiatrisés. Quant à la place des père et mère, elle est inversée. Le père qui a toujours été symbolique devient biologique (grâce aux tests ADN). Quant à la mère, autrefois toujours certaine, elle devient au choix : porteuse, avec don d’ovocyte ou adoptive. Voilà une lecture revigorante de notre fin de XXe siècle qui nous interroge sur le début du XXIe.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°599 ■ 29/11/2001