Plaidoyer pour l’enfant-roi

Simone KORFF-SAUSSE, Hachette, 2006, 240 p.

A en croire nombre de professionnels et d’observateurs de notre société, l’enfant moderne serait surinvesti, gâté et choyé. Tel un petit roi tyrannique et capricieux, il serait tout-puissant et n’admettrait aucune limite. Simone Korff Sausse nous démontre ici le contraire : pour elle, le sort de l’enfant moderne n’est pas celui que l’on croit, ne faisant en outre que refléter l’adulte dans son évolution contemporaine. L’enfant est désiré ? Il est surtout tenu de ne pas décevoir les espoirs mis en lui : porteur d’attentes, il est soumis à un devoir de résultats. L’enfant est idéalisé ? Il est ainsi sommé de répondre à l’image de beauté, de bonne santé, d’intelligence, de sociabilité et de performance qu’on a projeté sur lui, avant même sa naissance. L’enfant est couvé ? Il est trop souvent livré à lui-même par des parents absorbés par leurs propres soucis professionnels. L’enfant est surprotégé ? Il est aussi le premier à subir les conséquences de l’insécurité, quand le couple parental l’accable du poids de ses angoisses. L’enfant bénéficie de l’attention et de tous les soins ? Il est surtout surchargé par des emplois du temps de ministre destinés à lui apporter toutes le compétences requises. L’enfant est devenu un sujet à part entière ? Les besoins spécifique de l’enfance, pourtant largement connus et reconnus sont négligés ou déniés : « apparemment enfant-roi, mais en réalité bien souvent enfant délaissé, abandonné, maltraité, prostitué, forcé de travailler » (p.28) Alors même que l’enfant construit son développement à partir d’une relation marquée par l’asymétrie, la dissemblance et la non réciprocité, il subit de plein fouet le mouvement général d’effacement des différences. Les frontières vacillent : l’enfant est de plus en plus adulte et l’adulte de plus en plus enfant. Bien des caractéristiques que l’on attribue à l’enfant-roi ne font que reproduire le portrait de l’individu hypermoderne : autonomie, autosuffisance, liberté à l’égard des traditions, affranchissement des contraintes familiales, choix dans l’établissement et la modification des relations au gré des mouvements affectifs. Quant à l’adulte, il calque de plus en plus sa sexualité sur celle de l’enfant : détachement du souci de procréation, centration sur le plaisir immédiat, refus de différer ou d’attendre, valorisation des liens éphémères au détriment de la relation amoureuse. Si l’adulte ne refoule plus ses propres pulsions, pourquoi l’enfant le ferait-il ? L’enfance nous habite tout au long de notre existence. Recouverte par le vernis de l’éducation et de la civilisation, elle sommeille en chacun d’entre nous, prête à se réveiller. Dès lors rien d’étonnant à ce qu’elle nourrisse chez l’adulte des sentiments ambivalents faits à la fois d’amour et de haine, d’attachement et de rejet, de bienveillance et d’agressivité, de sollicitude et d’hostilité. Ce qui irrite et fascine chez l’enfant-roi, c’est avant tout ce qu’il peut renvoyer de ce qu’il y a au fond de chacun d’entre nous.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°830 ■ 01/03/2007