Nos enfants sous haute surveillance. Évaluations, dépistages, médicaments…
GIAMPINO Sylviane & VIDAL Catherine, éd. Albin Michel, 2009, 284 p.
Toute éducation se confronte à deux ambitions quelque peu contradictoires : préparer nos enfants à s’adapter aux attentes de la société, tout en évitant de formater leur personnalité. Ces deux préoccupations tendent à être phagocytées par une conviction totalitaire : croire que l’on va pouvoir maîtriser leur développement, sans avoir à en assumer la part d’incertitude. L’école maternelle renonce à sa pédagogie créative et ludique, pour aborder dès la petite section des apprentissages cognitifs dont l’opérationnalité est très vite évaluée. Un système de plus en plus invasif de fichage des aptitudes permet d’élaborer des statistiques et d’identifier des comportements visuels analysés comme autant de facteurs prédictifs de l’évolution ultérieure. Agressivité, colère, désobéissance, opposition, refus, rébellion sont repérés et médicalisés, comme signes d’une pathologie possible. A une prévention pluridisciplinaire, non ciblée et humaniste succède une prévention-dépistage mécanique qui revendique de ne passer à côté d’aucun risque, ni d’aucun danger. Le monde des adultes est entré dans une période où il exige de ses enfants une plus grande précocité, tout en montrant une intolérance grandissante aux différences de rythme et de style qu’ils peuvent adopter. « Cette tentative d’éradiquer les inachèvements de l’enfance va de pair avec l’éradication de la fragilité humaine dans la vie des grands » (p.171). La biologisation de tous les comportements normaux ou déviants va de pair avec le démantèlement progressif des services destinés à accompagner les familles dans leur quotidien. Ce dont ont besoin nos enfants, qu’ils soient planants, impulsifs ou boule de billard, c’est d’être rassurés, écoutés et soignés. Plus ils sont jeunes, plus leur vécu et leur personnalité sont tissés au vécu et à la personnalité de leur entourage. Ce dont ils ont besoin c’est d’être aspirés et inspirés par la spirale ascendante d’adultes ayant une image positive d’eux. De plus en plus souvent, on répond à leurs difficultés psychiques, par des traitements médicamenteux qui les apaisent provisoirement. Ce dont ils ont besoin, c’est d’une rencontre humanisante qui les aide à se délier et qui puisse les accompagner dans le réaménagement relationnel, éducatif et pédagogique de leurs conditions de vie. Parce qu’ils s’identifient à ce que l’on dit d’eux, rien n’est plus pathogènes que ces pseudos pronostics qui les stigmatisent, en les figeant dans une difficulté passagère, à un moment donné de leur évolution. Un enfant peut toujours se transformer, évoluer, se modifier. Il n’est réduit à aucun avenir obligé, grâce à l’extraordinaire plasticité du cerveau humain qui se réorganise en permanence, en fonction de l’expérience propre à chacun.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°995 ■ 25/11/2010