L’enfance de l’ordre. Comment les enfants perçoivent le monde social
LIGNIER Wilfried et PAGIS Julie, Ed. du Seuil, 2017, 300 p.
L’enfance n’est pas l’expérience libre d’un monde à part, mais l’appropriation réglée d’un monde existant, affirment Wilfried Lignier et Julie Pagis. Les cultures enfantines ne sont pas de pures créations spontanées, comme on l’imagine parfois, élaborées dans un espace merveilleux ou protégé par rapport à celui des adultes. La façon dont les enfants perçoivent le monde social est directement influencée par un entourage servant de modèle ou de repoussoir. L’influence de la parole des adultes proches, des cultures familiales et des déterminismes sociaux est prépondérante dans leurs représentations. Les parents, les enseignants, les éducateurs induisent leur perception sous une forme linguistiquement significative et socialement distinctive. Pour le démontrer, nos deux auteurs ont mené, pendant deux ans, une enquête au sein de deux écoles primaires : l’une plutôt fréquentée par les milieux populaires, l’autre pas les couches plus aisées de la population. Il ne s’agissait pas d’identifier ce que tous ces enfants identifiaient du monde les entourant, mais comment ils le faisaient. Le constat est sans appel : l’ordre social préexiste et dépasse les enfants, imposant ses normes, ses codes et sa morale. Explorant l’espace domestique où ils baignent, les pratiques culturelles ou sportives auxquelles ils s’adonnent, les réseaux de sociabilité qu’ils construisent, la scolarisation qu’ils vivent ou les opinions politiques qu’ils revendiquent, les auteurs illustrent combien ils tracent entre eux des frontières de classe, de race et de genre. Si les enfants abreuvent souvent leurs jugements à la source de l’expérience concrète de leur vécu, le cadrage social et la construction normative dans laquelle ils évoluent restent néanmoins prédominants.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1257 ■ 16/09/2019