Le prix du berceau / Babyzness
GASTALDI Daphnée et PERISSE Mathieu, Éd. du Seuil, 2023, 203 p.
« Le prix du berceau »
Sur dix bébés, six sont gardés dans le réseau familial des parents, deux sont accueillis chez des assistantes maternelles. Les autres le sont en crèches. Réputées plus propices au développement de l’enfant, les près de 500.000 places qu’elles proposent ne comblent par la pénurie de 200.000 manquantes, pour répondre à la demande.
C’est dans ce contexte qu’au début des années 2000 les pouvoirs publics -tous gouvernements confondus- ont fait le choix d’ouvrir le marché de la petite enfance au secteur marchand. Mise en concurrence, recherche de rentabilité et financiarisation ont eu pour effets de réduire les prix du berceau. Bonne nouvelle pour les élus en charge du secteur et les familles, peut-on penser.
Pourtant, c’est la qualité des conditions d’accueil qui en a pâti. La course au rendement, la recherche du remplissage à tout prix, l’inscription de plus d’enfants que de places disponibles, le fonctionnement à flux tendu, le non-remplacement des personnels absents, la restriction de nourriture misant sur les absences, les limitations de fournitures (couches, gants, etc …), le marketing prenant le pas sur la pédagogie … se rencontrent de plus en plus souvent dans le secteur privé.
Cette course au rendement ne retient qu’une priorité : assurer les taux d’occupation maximum pour garantir la retour sur résultats. Un tel fonctionnement transforme le quotidien des enfants en gardiennage, en bétaillère et en usine à bébés. Celui des professionnels, recrutés de moins en moins qualifiés et de moins en moins payés, se traduit par l’épuisement, la démission et la désaffection. Face aux 10.000 postes proposés, il n’y a plus de candidat(e)s.
La libéralisation des services publics a encore frappé !
LEPETIT Bérangère, MARNETTE Elsa, Éd. Robert Laffont, 2023, 328 p.
« Babyzness »
Pour écrire leur livre, les deux enquêtrices ont sillonné notre pays, recueillant la parole de dizaines de témoins : parents, professionnels, élus, dirigeants et cadres d’entreprises de crèches etc …
D’un côté, les services juridiques et de communication du secteur privé qui expliquent que tout va très bien. Sauf, bien sûr, quelques dérives regrettables mais isolées, maniant régulièrement. Si quelques doutes sont néanmoins émis, les menaces de procès en diffamation ne tardent pas. De l’autre, un constat affligeant qui conduit à conclure à une catastrophe en train de se réaliser sous nos yeux.
Les auteures prennent la précaution de préciser leurs intentions. Elles ne cherchent ni à jeter le discrédit sur tout le secteur privé des crèches, ni à dénigrer les professionnelles éducatrices de jeunes enfants et auxiliaires de puériculture qui y travaillent. Pourtant, si les établissements municipaux ou associatifs ne sont pas exempts de dérives potentielles, c’est néanmoins le secteur marchand qui cumule le plus d’alertes de dysfonctionnements et de suspicions de maltraitance.
Il y a une cohérence à cet état de fait. La concurrence féroce qui se joue entre les cinq grosses entreprises du marché implique de rabaisser les coûts de fonctionnement, lors du dépôt des candidatures aux appels d’offres déposés par les municipalités en vue d’attribuer des délégations de service public. Diminuer le prix du berceau (place en crèche) de 8 ou 10.000 euros par an à 3 ou 4.000 a inévitablement des conséquences.
Comment réduire de plus de la moitié les ressources, tout en garantissant un taux de rentabilité pouvant être parfois à deux chiffres, sans s’attaquer aux conditions d’accueil ? Quand la seule réponse donnée par la direction aux demandes de crédit consiste à renvoyer à l’absence de budget, il arrive que les personnels en viennent à financer par eux-mêmes qui des goûters, qui des couches, qui des jeux éducatifs.
Reproduisant le paiement à l’acte (T2A) du secteur hospitalier, la Caisse d’allocations familiales a remplacé le financement forfaitaire à la place par la rétribution à l’heure d’activité. Ce qui renforce encore plus les contraintes pesant sur les crèches qui doivent remplir au maximum leurs effectifs. Ce à quoi se rajoute le choix de l’État de réduire les impôts des entreprises créant des places de crèches, créant ainsi un marché juteux pour des grands groupes à l’affut des profits à réaliser. Avide de bénéfices, le secteur marchand de la petite enfance est tenté de privilégier ce secteur bien plus lucratif, les employeurs ne mégotant pas sur le coût du service offert aux enfants de leurs salariés.
Surfant sur la pénurie de places, les crèches privées imposent des contrats contraignant les parents à libérer le berceau où est accueilli leur bébé dans un délai de trois semaines si cela leur est demandé. Dans le même temps, plusieurs mois d’indemnisation leur sont imposés s’ils font le choix de le retirer par eux-mêmes ! Si les bébés n’ont pas les moyens de protester, leurs familles gardent souvent le silence par peur ou par lassitude.
Dorénavant, le bonheur merveilleux de la naissance peut se transformer, dans certains cas, en cauchemar tant pour les familles de plus en plus inquiètes que des enfants victimes de malnutrition, de maltraitance ou de négligence. Au scandale des EHPAD se rajoute celui des crèches. Les deux bouts du spectre de la dépendance se rejoignent dans la même confrontation à l’âpreté du gain. Les fonds de pension ne s’y sont pas trompés, n’hésitant plus à investir pour tirer profit au maximum de l’or des biberons après en avoir fait autant avec l’or gris des vieillards.