Vivre avec elle. Mère et fille racontent
Maryse VAILLANT, Judith LEROY, La Martinière, 2004, 190 p.
S’il est bien un exercice difficile, c’est celui qui consiste à parler de ce qu’il y a de plus profond et de plus intime en soi, tout en réussissant à éviter tant l’impudeur dans ses propos que la provocation au voyeurisme chez le lecteur. Maryse Vaillant s’y était essayé avec un grand bonheur, quand elle nous avait conviés, dans un précédent ouvrage (« Il m’a tuée » cf LS n°), à un voyage plein de tendresse et de lucidité au cœur de son enfance. La voilà qui récidive, en nous livrant une tranche de sa vie d’adulte : la relation à la fois passionnelle et colorée entre une mère et sa fille. Sans jamais se départir ni de son humour, ni de sa simplicité, elle nous fait vivre au rythme de ses émotions et de ses réflexions, de ses moments de joie et de ses périodes de cafard, un récit écrit à deux voix, l’écriture de la mère étant complétée par le contrepoint de la fille. Un proverbe affirme que les enfants des cordonniers sont les plus mal chaussés. Qu’en est-il pour les filles de psychologues ? Qui peut croire qu’un professionnel de l’enfance ou de l’éducation exerce face à sa propre progéniture, avec une dextérité extrême, une assurance hors du commun, et un savoir-faire garanti sur facture, l’art qu’il déploie par ailleurs, quand il s’adresse aux enfants des autres ? Comme chacun, il vit des satisfactions et des angoisses, il est confronté à des réactions d’adolescents alternant l’amour et le rejet, l’admiration et la rébellion, il adopte des comportements faits de disponibilité, de bienveillance et de sens de l’écoute, mais aussi d’impatience, de cynisme et de fuite. C’est peut-être cette bienfaisante et humaine imperfection qui permet justement de savoir réagir face aux familles des autres. « Vivre avec elle » en est une excellente illustration. Le livre se présente comme le condensé d’une existence partagée à deux : 35 flashs, comme autant d’instantanés de vie. Mais quand Maryse et Judith égrènent leurs souvenirs et évoquent, parfois, comment chacune a vécu le même évènement, ce n’est pas seulement d’elles dont elles parlent. Ce n’est pas leur expérience unique, car personnelle, qu’elles décrivent. Elles touchent à ce qu’il y a de plus universel : pour l’une, la souffrance d’un père absent, le besoin d’exister pour elle-même ou la peur que l’amant de passage ne vienne lui prendre sa mère ; pour l’autre, le poids que ressent un parent seul, en tête à tête avec son enfant, le doute quant à le justesse des valeurs éducatives mises en œuvre ou encore l’angoisse face au fossé qui se creuse. Pour toutes les deux, le conflit de génération, la fin de la complicité que sonne le glas de l’adolescence et le sentiment d’une incompréhension mutuelle. Mais, finalement, le plaisir d’avoir cheminé côte à côte et d’avoir réussi une vie qui n’aurait eu ni le même goût ni le même sens, sans l’autre.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°705 ■ 15/04/2004