L’éducation en mal d’autorité
LE PENNEC Yann, Ed. L’Harmattan, 2013, 89 p.
L’autorité fut longtemps fondée sur la toute puissance autocratique du paterfamilias, s’exerçant verticalement et exigeant sur le champ et sans contestation possible l’obéissance. Cette soumission fut légitimée tant par un Aristote considérant que l’enfant est uniquement prisonnier de ses désirs, qu’un La Bruyère lui attribuant toutes le turpitudes humaines, qu’un Kant le réduisant à la somme de ses impulsions désordonnées que la discipline n’avait pas encore humanisées ou encore un Le Play le décrivant comme responsable d’une invasion permanente de la barbarie. Certains auteurs contemporains, très prisés aux USA, revendiquent le dressage violent du petit d’homme comme seul moyen de le remettre dans le droit chemin. Yann Le Pennec, partant de l’impulsion donnée par Nicolas Sarkozy au retour à la discipline et à l’ordre, interroge les mutations sociologiques en cours et les impasses autoritaires. Sa conviction est claire : la socialisation de l’enfant ne peut se réduire à l’inculcation mécanique des lois sociales sur un sujet réputé passif, dans une reproduction de méthodes de transmission traditionnelles. Cadrer, encadrer, contrôler, surveiller, punir relèvent d’une illusion de maîtrise face à des jeunes générations qui ne se contentent plus de prendre les places auxquelles la société les assigne. De profonds bouleversements sociétaux sont venus invalider les approches éducatives fondées sur le seul contrôle coercitif. L’individualisation croissante, l’effondrement des grandes idéologies, le sentiment d’auto engendrement, l’effet pervers d’un libéralisme corrodant les valeurs du vivre ensemble résumées au seul intérêt égoïste, l’assujettissement du bien-être de l’enfant à la satisfaction immédiate et à une jouissance sans entrave … ont réduit à néant les schémas ancestraux de ce qui faisait autorité. Les appels aux parents d’un certain nombre de spécialistes à « oser se faire obéir », « savoir dire non », « poser des limites » et autres « se montrer efficaces » tournent dans le vide. Yann Le Pennec ne se contente pas de constats désespérants. Il formule aussi des propositions susceptibles d’asseoir l’autorité sur de nouvelles bases. Avec François Dolto, il réaffirme la nécessité de considérer l’enfant et sa parole comme source de créativité et de potentialité, au lieu de le limiter à la seule expression de son instinct. Avec Célestin Freinet, il revendique le tâtonnement, l’expérimentation comme sources de cheminement, plutôt que l’imposition d’un savoir à inculquer. Et c’est bien l’éducation à la citoyenneté, au droit et à la démocratie qui permettra de placer le petit d’homme à une place active : lui apprendre à coopérer, développer son pouvoir d’agir, encourager ses initiatives, libérer sa parole, lui donner l’opportunité de s’organiser lui donneraient les possibilités d’intégrer le jeu des libertés et des obligations propre à toute vie en société.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1138 ■ 03/04/2014