L’autodestruction du mouvement psychanalytique

DUPONT Sébastien, Ed. Gallimard, 2014, 206 p.

Renégat à la cause ou Cassandre rejeté pour avoir prévenu d’un destin funeste ? Le lecteur en décidera. Se refusant à utiliser les publications qui y sont hostiles, Sébastien Dupont reprend à son compte toute une série d’analyses d’auteurs qui défendent bec et ongle la psychanalyse, en y ajoutant son propre regard lucide et perspicace. La démonstration est d’autant plus cruelle qu’elle vient donc de l’intérieur. L’objectif est annoncé d’emblée : comment éviter que ce mouvement ne fasse naufrage ? Le diagnostic dressé est sans concession. Composée de 6.000 praticiens et influençant encore largement le corps des 13.000 psychiatres et celui des 40.000 psychologues, la psychanalyse s’est fractionnée en une vingtaine d’associations concurrentes qui ne cessent de se déchirer, se nourrissant de débats stériles tournant à vide, se contestant mutuellement, chacune prétendant détenir seule la vraie légitimité. Son discours est devenu incompréhensible (refus de rendre les codes accessibles en les adaptant), cacophonique (démultiplication des concepts contradictoires) et idéologique (les modèles proposés sont devenus des postulats immuables et le système théorique s’est transformé en dogme sacralisé et fétichisé). Plus le mouvement perd de sa créativité et de sa vitalité, plus il s’accroche avec vanité et arrogance à la certitude de détenir la vérité. Toute critique est considérée comme s’adressant à l’école concurrente ou assimilée à une résistance inconsciente, ultime démonstration du bien-fondé de la thèse contestée. L’auteur le proclame haut et fort : il faut arrêter d’accuser les cognitivo-comportementalistes, la marchandisation de la santé mentale ou la dérive néo-libérale, d’être à l’origine de la perte de crédibilité de la psychanalyse. Ses détracteurs ne font qu’accélérer un mouvement de déclin qui s’est opéré très bien, sans eux. La psychanalyse n’a de pire ennemi qu’elle-même. Ce qui a alimenté sa crise d’autorité, ce sont les luttes de pouvoir, les guerres de chapelles, les enjeux économiques et institutionnels et les intérêts corporatifs et personnels qui ne cessent de la miner. C’est ce dogmatisme qui a transformé la théorie en doctrine sacrée, l’inconscient en divinité, Freud en prophète, ses œuvres en écritures saintes, les écoles de psychanalyse en communauté de croyants et les autres thérapies en hérétiques. C’est la quête de la révélation entre les lignes, dans le sens caché d’une formule ou dans l’ambiguïté d’un terme. Le moins que l’on puisse dire c’est que  Sébastien Dupont n’y va pas du dos de la cuillère ! Son rêve ? Que la psychanalyse renonce à sa position de supériorité et d’hégémonie pour redevenir une thérapie et une théorie parmi d’autres, qu’elle s’intéresse à l’individu tel qu’il est et non tel que la doctrine le décrit ou encore qu’elle s’enrichisse de l’apport des autres sciences humaines. Il y a du travail !

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1170 ■ 01/10/2015