Chroniques d’un psychiatre libertaire: 1966-2016
SANS Pierre, Ed. C.S.I.P.P., 2016, 348 p.
Voilà un ouvrage à conseiller, sans hésitation. Parce que son auteur n’a cessé, tout au long de sa carrière, de se lancer dans des innovations qui pour apparaître banales aujourd’hui n’en furent pas moins révolutionnaires à leur époque. Parce que son cheminement épouse cinquante ans de psychiatrie et que ses chroniques sont un précieux témoignage historique. Parce que c’est un esprit libre qui n’a jamais sacrifié ses convictions et ses engagements à sa carrière. Pierre Sans est ce pionnier qui crée l’un des premiers hôpitaux de jour pour enfants en 1972, l’un des premiers Ateliers-foyers pour grands psychotiques en phase de réinsertion en 1976, l’un des premiers services de placement familial thérapeutiques pour adultes, en 1979 et l’un des premiers IME pour enfants avec autisme, en 2004. Fils d’une famille de réfugiés républicains espagnols, mai 1968 le surprend en pleines études de médecine. La décennie 1970 va changer profondément une profession incroyablement sclérosée et conservatrice : l’aliéniste devient psychiatre et l’asile se mue en hôpital psychiatrique. La discipline est fortement bousculée par l’anti-psychiatrie, la psychothérapie institutionnelle et la psychanalyse. La folie est alors considérée comme un voyage et l’internement comme un contrôle social d’une grande violence faite à la personne. Pierre Sans commence une analyse en 1972 et ouvre un cabinet libéral en 1975. La psychanalyse le marque profondément. Pour autant, il va se détacher progressivement d’une pratique qui vire progressivement à l’idéologie. Il faut dire que son âme de rebelle ne le prédispose pas à courber l’échine ou pencher dans le sens du vent. Quand il pense quelque chose, il le dit. Il n’hésitera pas longtemps avant de dénoncer les dérives sectaires de la Fondation Pi, une structure nantaise se réclamant de Lacan. Son divorce sera consommé, quand il accompagnera des enfants avec autisme, dénonçant l’impasse dont il accuse les thuriféraires de Freud d’enfermer les patients. Quand sonne l’heure de la retraite, Pierre Sans n’entend pas être réduit à cultiver son jardin. Il décide d’aller à la rencontre des fous du continent africain tout juste libérés de leurs chaînes. Il s’investit au Bénin dans les centres d’hospitalisation relais qu’y a créé l’association Santé mentale en Afrique de l’Ouest. Incorrigible insoumis, il mettra un terme à sa collaboration, après avoir été témoin de pratiques qu’il ne peut approuver. Ces mémoires rédigées d’une plume alerte et fluide éclairent sur toute une époque et sur les valeurs profondément humanistes qu’il a chevillées au corps.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1202 ■ 02/03/2017