Cyrulnik - Les vilains petits canards

Boris CYRULNIK, Odile Jacob, 2001, 280 p.

Faire naître un enfant ne suffit pas, nous explique d’emblée Boris Cyrulnik, qui signe là un nouvel ouvrage sur le thème de la résilience : il faut le faire venir au monde en disposant autour de lui des tuteurs de développement. Cela commence déjà bien avant la naissance, au travers des représentations de la mère qui baignent l’embryon dans une atmosphère psychique déterminée. Or, 33% seulement des grossesses se déroulent dans des conditions saines. Les autres sont marquées par des troubles émotionnels, une pathologie associée ou des angoisses qui créent un milieu sensoriel plus ou moins perturbé. Une fois né, le bébé, selon qu’il provoque le plaisir ou le déplaisir de l’adulte va déclencher chez ce dernier des réactions différentes qui à leur tour vont ou non favoriser son épanouissement. La spirale positive qui permet un échafaudage psychique quand l’enfant a appris à se faire aimer, peut ainsi, tout aussi bien se transformer en spirale négative. L’attachement à la mère se déroule dans des conditions sécurisantes dans 65% des cas.  Cette relation est évitante dans 20%, ambivalente dans 15% et désorganisée dans 5% des cas, provoquant alors un dérèglement potentiellement déstructurant pour l’enfant. C’est aussi un évènement blessant qui peut survenir, mettant en jeu les instances biologiques, émotionnelles ou historiques du psychisme. Les circonstances d’un trauma ne sont donc pas exceptionnelles. Mais quand une maille est ainsi ratée, les possibilités de remaillage sont nombreuses. La résilience est constamment possible, à condition que l’enfant rencontre un objet signifiant pour lui. Parmi les facteurs favorisant, on trouve les attachements multiples, mais aussi les circuits affectifs ou institutionnalisés qui entourent le sujet ou encore l’âge (qui détermine le niveau de construction de l’appareil psychique). Trois dimensions prennent une importance toute particulière : l’acquisition ou non de ressources internes, la façon dont le trauma est assimilé (celui-ci ne provoque jamais d’effets automatiquement prédictibles) et l’offre ou non de tuteurs sur qui prendre appui (la façon dont les adultes disposés autour vont réagir). La résilience est un processus : ce n’est donc pas l’enfant qui est résilient, mais son évolution. « Quand les flammèches de la résilience existent, ce qui est presque toujours le cas, il faut savoir les repérer et faire en sorte que le discours social ne les éteigne pas ou ne les oriente pas vers des formes dévoyées » (p.218), telle la vengeance contre la société ou l’identification à sa propre tragédie qui devient alors un modèle de développement et de reproduction. Tout au contraire, l’intellectualisation, l’humour, l’engagement social et la créativité sont les voies royales qui transforment le trauma en résurrection et en émancipation à l’égard de la souffrance subie transformée ainsi en nouveau sentiment positif de soi.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°588 ■ 13/09/2001