Autobiographie d’un épouvantail

CYRULNIK Boris, Odile Jacob, 2008

Les troubles psycho traumatiques sont à peu près les mêmes, quelles que soient les cultures : le blessé devient anxieux et irritable, les images d’horreur revenant en permanence, le moindre évènement faisant revivre la souffrance. Ce vécu est tellement intolérable que le psychisme cherche à combler le vide laissé par l’insensé de l’évènement. Il construit parfois une vision délirante de ce qui s’est passé. Il essaie aussi de se protéger, en organisant un déni ou un mutisme qui pour mettre le sujet à l’abri des souvenirs douloureux, n’en freinent pas moins les mécanismes de compréhension pourtant essentiels à la résilience. Dans ces cas-là, la mémoire est à double tranchant : sans elle la vie est non-sens, mais avec elle, elle est insupportable. C’est bien elle qui structure la représentation de l’évènement traumatique, le faisant revivre par réminiscence. Boris Cyrulnik pense qu’il est possible de sortir de ce paradoxe, en modifiant le sentiment intime d’une personne blessée. Pour ce faire, il faut agir sur les récits qui l’entourent, sur ce qui est dit autant que sur la manière dont cela est dit. C’est bien un acte de passage et non un passage à l’acte qui doit permettre de mettre en œuvre le travail psychique. Et c’est justement l’invitation à la parole ou la contrainte au silence, le soutien affectif ou le mépris, l’aide ou l’abandon qui peuvent permettre le remaniement de la blessure ou sa nécrose, le vécu d’un même évènement dans la honte ou la fierté, l’ombre ou la lumière, l’hébétude ou la maturation post traumatique. Le récit, ce n’est pas le retour du passé, c’est la réconciliation avec son histoire. Il n’évite ni la détresse, ni l’angoisse, mais ouvre sur une nouvelle vie. La nécessité d’expliquer et la rage de comprendre poussent le sujet à lutter contre le trauma et à apprendre à vivre autrement. La vérité narrative n’est pas la vérité historique. Avec une seule existence, on peut écrire mille autobiographies, toutes plus vraies les unes que les autres. Ce ne sont pas tant les faits qui comptent que la façon dont ils sont organisés. Comme l’essentiel n’est pas tant le sens que l’on trouve, que la quête de sens que l’on met en œuvre. Mais, « la déchirure devient difficile à recoudre quand ceux qui vous entourent vous demandent de renoncer à la partie de vous qui vous torturent et qu’ils ne supportent pas. » (p.208). Et c’est bien là le second facteur de la résilience : l’organisation par l’entourage d’une enveloppe émotionnelle rassurante et le soutien social donné au récit. Un mois après toute catastrophe, on estime à 42% les victimes qui en souffrent encore. Ce chiffre tombe à 23% 13 mois après, et à 3%, après 3 ans. Ce n’est pas le temps qui spontanément ferait son office, mais la qualité du soutien groupal et social qui favorise la guérison.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°932 ■ 11/06/2009