Les blessures psychiques. La force de revivre
Gustave-Nicolas Fischer, Odile Jacob, 2003, 272 p.
Viols, guerres, massacres, agressions : la simple description des faits est défaillante et le langage est réducteur pour saisir ce qu’est une vie brisée. D’autant qu’il n’y a pas de corrélation automatique entre l’intensité d’une violence subie et le choc psychique que celle-ci peut provoquer. Les dégâts commis, s’ils peuvent être mesurés au plan physique, peuvent aussi causer, même si c’est moins visible, des dommages psychologiques bien plus considérables encore. Le traumatisme crée alors une catastrophe, un tremblement de terre, un véritable chaos intérieur, un effondrement psychique. Rien ne semble pouvoir atténuer les effets destructeurs du mal et de sa souffrance. Les métamorphoses ainsi provoquées touchent non pas tel ou tel aspect de l’existence des blessés, mais bien leurs raisons de vivre. Le passé continue à envahir leur esprit, leurs émotions. Leur vie est comme figée. Leur mémoire rayée n’arrive plus à faire son travail d’oubli, imposant un interminable deuil. Le blessé est un boiteux dans le monde social retrouvé : refaire sa vie provoque la réactivation des bouleversements psychiques initiaux. La détresse vécue a quelque chose d’inconsolable et d’indicible : comment parler de l’impensable ? Qui peut vraiment comprendre ? Et pourtant, chacun, possède en soi un potentiel de vie, parfois ignoré et inexploité, souvent vulnérable et fragile qui peut être remobilisé. C’est, paradoxalement, la blessure même qui peut devenir une ressource insoupçonnée pour continuer à vivre et même pour reconstruire son existence. L’expérience vécue constitue alors le lieu incontournable pour comprendre et la reconnaissance de la meurtrissure indispensable pour aider. Et c’est là que peuvent intervenir les psychothérapies. Chaque sorte de thérapie se défend, « si elle n’est pas érigée comme la seule voie de salut possible, si elle n’est pas fondée sur un dogmatisme qui excommunie toutes les autres (...) Aucune n’est en soi une garantie de guérison, chacune n’est qu’un moyen, car l’efficacité thérapeutique agit dans le blessé, non dans l’outil thérapeutique » (p.145) Car, toutes ces démarches cherchent à atteindre finalement les mêmes objectifs. Le deuil tout d’abord qui ne consiste pas à effacer le passé, mais à participer à la construction de son oubli et permettre de continuer à vivre avec cette part détruite de soi. La fin de la haine ensuite, car vivre avec sa haine constitue une façon de se nourrir de son propre malheur. Vivre avec ses blessures encore, car c’est là composer avec son mal, c’est atténuer le côté douloureux de sa vie pour le rendre supportable. Le pardon parfois, qui pour être subordonné au repentir des agresseurs, permet néanmoins d’éviter de rester enchaîné à son état victimaire. « Pardonner, ce n’est pas effacer le mal ; ses traces sont ineffaçables. Pardonner, c’est s’en libérer en effaçant la dette insolvable du criminel pour le mal qu’il a fait » (p.217) Se reconstruire enfin, pour transcender le sentiment de son propre malheur.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°685 ■ 06/11/2003