Ce dont les enfants sont capables. Marcher XVIIIème, travailler, XIXème, nager XXème
Pascale GARNIER, Métailié, 1995, 338p.
L’enfance n’est pas un âge fixé dans une nature immuable. La relativité de cette notion a fait l’objet de nombreuses études depuis le célèbre livre de Philippe Ariès « l’enfant et la vie familiale sous l’ancien régime » qui fit oeuvre à cet égard de pionnier.
L’image et les représentations qu’une société adopte par rapport à l’enfance marquent les conditions de vie d’une époque donnée et symbolisent bien les conflits entre adultes. Pascale Garnier nous propose dans son ouvrage une description précise et pertinente des polémiques qui parcourent la société française entre le XVIII et le XXème siècle, concernant l’articulation entre âge biologique et âge social de l’enfant. Trois domaines sont abordés: l’apprentissage de la marche, du travail et de la nage.
La pédagogie traditionnelle prétendait placer le plus tôt possible l’enfant en position verticale. C’était une façon de marquer son humanité: la bipédie étant seule capable de placer l’homme en haut du règne animal. Pour y arriver, tout un arsenal d’appareils avait pour ambition de favoriser cette latéralisation: maillots, lisières, chariots ... C’est à partir de 1740 que les critiques se font de plus en plus vives contre ces dispositifs qui déforment l’enfant et le font souffrir. La relégation progressive comme pièce de musée de tout cet attirail marquera l’avancée de l’idée d’un enfant préface de l’adulte, adulte en train de se faire, à la fois en filigrane et à conquérir.
Pendant des siècles (et encore aujourd’hui d’ailleurs dans nombre de régions du monde), l’exploitation des enfants mis au travail dans des conditions le plus souvent terrifiantes, s’est effectuée sans soulever beaucoup d’émotions. C’est à partir du XIXème siècle que les mentalités ont commencé à évoluer. La réglementation limitant l’activité des mineurs s’est progressivement généralisée contre la résistance tant des lobbies industriels que... des familles ouvrières qui voyaient par de telles mesures leur fragile équilibre budgétaire déstabilisé. C’est bien l’intérêt de l’enfant qui s’imposait ainsi en surpassant celui de sa famille, de son économie et de son pays.
C’est au cours de la deuxième moitié du XXème siècle qu’émerge la compétence du tout-petit, tant sur le plan moteur, que perceptif, affectif ou cognitif. Cette conquête peut être illustrée par l’apprentissage de la natation. Limité initialement à la pataugeoire et à la baignoire familiale, le petit d’homme est confronté au milieu aquatique en 1968. L’expérience vient d’outre-atlantique. Elle impressionne un groupe de sportifs français qui décide de ce lancer dans l’aventure froidement accueillis par des critiques et de l’appréhension. Il ne s’agit pas tant de faire acquérir des techniques de nage adulte à des bébés que de tisser une authentique relation affective entre l’adulte et l’enfant avec l’élément liquide comme facteur favorisant. Cette pratique connaîtra le succès que l’on sait.
De moins en moins objet, de plus en plus sujet, l’enfant s’impose au cours du temps comme une personne à part entière. Dès lors, l’adulte ne l’éduque plus mais lui dévoile sa propre détermination, grandeur autonome et complète en elle-même.
Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°337 ■ 25/01/1996