Le goût de vivre. Retrouver la parole perdue

Edouard ZARIFIAN, Odile Jacob, 2005, 236 p.

Ce qui anime notre vie, c’est la quête du bonheur et l’évitement des situations de malheur. Mais nos aspirations au plaisir se heurtent souvent à l’impossibilité de l’atteindre. Ce que nous ressentons alors n’est pas tant une douleur qui est avant tout une sensation physique, qu’une intense souffrance psychique. Celle-ci n’est pas plus aisément exprimable qu’elle est facilement définissable. Elle coïncide fréquemment avec un deuil, une perte réelle, symbolique ou imaginaire : « l’intensité de la souffrance que l’on éprouve après une perte mesure la force du lien de dépendance que nous entretenions avec l’objet disparu » (p.40). Pour autant, réussir à nommer cette souffrance, c’est commencer à la soulager en se la représentant et en la projetant à l’extérieur de soi. La parole joue alors un rôle essentiel, permettant de canaliser les affects, de temporiser et de surseoir au passage à l’acte, là où la pauvreté des échanges cantonne au pulsionnel. Mais il arrive aussi qu’on ne puisse dire sa souffrance ou qu’on ne veuille pas révéler ses secrets. Car, se livrer risquerait alors de provoquer une véritable hémorragie psychique qui mettrait en grave danger la distinction entre soi et les autres. La communication peut donc tout autant accabler qu’apaiser, son pouvoir vulnérant n’ayant d’égal que sa capacité d’apaisement : quelques mots suffisent parfois pour libérer, mais aussi pour porter atteinte à l’image qu’on a de soi. « C’est la parole qui sécrète le doute, qui assène la vérité et qui transforme la crainte en certitude. C’est aussi elle qui entretient l’espoir, qui rassure, qui réconforte » (p.185). Les thérapies, si elles apparaissent comme des supports essentiels pour soulager la souffrance de l’autre, ne sont pas sans dérives potentielles. Un thérapeute qui se projette dans la vie de son client, en désirant son bonheur à sa place commet une intrusion déplacée.  Soigner, c’est aussi restaurer une responsabilité chez celui qui souffre. On n’est certes pas responsable d’une pathologie qui vous accable, mais on peut devenir responsable de la manière de la vivre. Sans compter « l’illusion de toute-puissance narcissique, l’immodestie et la conviction de la suprématie d’une méthode sont des dangers réels » (p.168) Trop souvent, chaque discipline qui s’adresse à une dimension particulière de l’être humain ne voit qu’à travers elle. Ainsi, de la prétention respectivement de la médecine qui réduit la souffrance à la douleur, des neurosciences qui limitent l’homme à son cerveau et la psychanalyse qui ne croit que dans l’inconscient. La personne humaine est constituée d’un corps aux caractéristiques physiologiques, d’un cerveau aux propriétés cognitives et d’un psychisme façonné par le rapport aux autres, chacun  étant en perpétuelle interaction avec l’autre. N’agir que sur un  seul ressort, c’est passer à côté de la complexité et la globalité de l’être humain.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°780 ■ 12/01/2006