Libres de savoir, ouvrir les yeux sur notre propre histoire

Alice MILLER, Flammarion, 2001, 198 p.

Tout au long des ouvrages qu’elle publie année après année (celui-ci est le dixième depuis 1983), Alice Miller n’a de cesse que de démontrer ce qui lui tient à cœur : faire prendre conscience à ses contemporains des effets dévastateurs que l’éducation traditionnelle a pu produire dans le psychisme de chacun. Sa thèse a quelque chose d’à la fois très tentant et à la fois très irritant. La dénonciation de cette fessée « qui n’a jamais fait de mal à personne » est ici essentielle. Les lésions que peuvent provoquer de tels coups sur le cerveau de l’enfant qui se structure dans les trois premières années de la vie, aboutissent à la destruction de neurones nouvellement formés et de leurs connexions et peuvent provoquer une empreinte dévastatrice qui  perdurera toute la vie. Mais, l’auteur a beau déclarer n’avoir « jamais affirmé que les mécanismes que j’ai découverts étaient la seule cause des évènements qui ont fait l’histoire du monde » (p.126), cela ne l’empêche nullement de prétendre que « les massacre qui ont eu lieu au Rwanda, peuvent, me semble-t-il s’expliquer par cette maltraitance des nourrissons » (p.74). Vous avez dit explication unifactorielle ? Pour l’essentiel, Alice Miller en est convaincue : la façon dont va se comporter l’adulte dépend étroitement de comment il a commencé sa vie. Et selon, qu’il a bénéficié de l’affection, de la protection, de la tendresse et de la compréhension souhaitables ou, bien au contraire, qu’il a subi rejet, froideur, incompréhension, indifférence, voire cruauté, il se montrera à son tour bienveillant ou au contraire haineux et brutal. Et cela est encore plus vrai pour les châtiments corporels. Les mécanismes de défense mis en place par le petit enfant pour les supporter provoque un véritable blocage mental et une cécité émotionnelle qui empêchent de faire tout travail sur les souffrances précoces. Mais, refuser de voir la cruauté de ce qu’on a subi, c’est le meilleur moyen de la reprendre à son compte: « la négation des blessures reçues autrefois amène à infliger les mêmes à la générations suivante. Sauf si l’on se décide à accepter de savoir » (p.184) Et, c’est bien là le rôle des témoins éclairés que d’aider à s’affranchir des modèles anciens. Alice Miller cite l’exemple édifiant du dialogue qu’elle a eu, à l’occasion de l’un de ses séminaires, avec un professeur de psychologie qui s’opposait à l’idée d’interdire les châtiments corporels. Interrogé sur son propre vécu infantile, il n’hésita pas à affirmer que lorsque propre père le frappait, c’est qu’il l’avait mérité. Ainsi, cet homme éclairé, au fait de la psychologie du développement et militant contre la maltraitance, continuait à attribuer une valeur pédagogique à ce qui ne pouvait que se résumer à des brutalités dénuées de sens. Le changement de mentalité prendra du temps. Mais il est inexorable.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°608 ■ 07/02/2002